Le bruit, la foule ; les lumières des stroboscopes clignotent et fractionnent les gestes en milliers d'images qui s'alignent à intervalles réguliers. L'effet est dingue, après trois lattes tirées sur le joint qui tourne depuis tout à l'heure – les flash m'abrutissent à eux tout seuls ; l'impression que j'marcherais pas droit s'il fallait que j'me lève.

L'ambiance est électrique, comme souvent – l'orage gronde au dedans. Ça commence toujours comme ça – du léger pour se mettre bien, se poser ((oublier la culpabilité évidente de ce qui suivra bientôt)). Et puis, l'un cède – sous le regard des autres, celui qui a prévu le coup tire un sachet de poudre du fond d'une doublure dans son blouson fracassé, les grains qu'il éparpille sur le bois de la table et qu'il sépare en lignes fines, presque radines, du bord d'une carte ((loin de nous la carte de crédit – ça tient plutôt du carton de fidélité des supermarchés)) pendant qu'on recycle les pailles de nos boissons en futures armes d'autodestruction.

La suite – toute tracée.
On courbe l'échine de concert à l'instant du feu vert – et de la neige n'en reste plus une miette ; j'ai tapé trois lignes dans l'espoir de frémir rien qu'un peu ((l'accoutumance est une plaie)), d'éprouver un semblant de chaleur et d'extase – j'me sens un peu moins morose, un peu moins gris, mais toujours pas vivant, y'a du vide à combler, un manque, et ça ne fonctionne qu'à moitié,

mes veines brûlent famine.

Je lève les yeux de la table – des types qui finissent de tracer – à l'instant où ta silhouette fend la foule dans notre direction. Je soupire de lassitude alors que tu n'es même pas encore installée à mes côtés – j'suis pas payé pour du babysitting, putain.

« Emily, je lâche simplement, comme simple salutation – le ton plus froid que je ne l'aurais voulu. »

J'instaure une distance dans nos rapports malgré moi – parce que je lis d'ores-et-déjà dans tes yeux des projets qui ne me plaisent pas.

J'avais les mêmes dans les miens, je crois, à seize ans – la frénésie adolescente et assassine.

Il y a comme un mépris dans ta réaction, tu ne me regardes pas et ça en dit déjà long — tu sais ce que je pense de tout ça, de ta manie à toujours sauter sur l'occasion quand t'as l'impression de saisir une ouverture. Tu t'en fous et ça m'fait vriller, c'est plus fort que moi — des fois j'aimerais t'en coller une pour te ramener à la raison, mais t'es une nana (une gamine) et j'ai des principes.

« Salut les gars, vous faites quoi ? Ils vous restent un peu de produits pour moi ? »

Je serre les dents, fixe mon regard sur toi qui m'ignores — et si les yeux tiraient à balles réelles, tu serais déjà à terre, poupée.
La réponse ne vient pas tout de suite — si mon regard t'assassine, les leurs calculent ta valeur à tes courbes, certains mesurent sans doute combien il faudrait te donner pour s'attirer tes faveurs et prolonger la soirée seul à seule, et leurs idées déplacées j'ai envie d'les leur faire bouffer — même à mes yeux, t'es qu'une enfant, et la plupart de ceux-là sont plus vieux que moi.

Finalement, le gars sur ma droite se décide — il pousse un sachet de poudre vers toi que j'intercepte avant qu'il ne soit à portée de ta main.

« Certainement pas, je gronde, en lançant à c'type un regard qui le fait hésiter une seconde — lentement, il ramène le sachet vers lui-même, tandis que je reporte mon attention sur toi. Et toi, c'est quoi ton problème ? T'es totalement débile ou quoi ? Dégage d'ici avant que je te traîne dehors par la peau du cul, putain. »

Pardon, pardon d'être comme ça, de jouer les grands frères sévère, le daron rabat-joie, pardon de jouer un rôle qui ne m'appartient pas, mais c'est plus fort que moi, j'peux pas — et si tu dois te bousiller, pitié, ne le fais pas devant moi.