is it too late now to say 'sorry' ? ❞

« Le photographe est une connaissance personnelle, un mec top, tu verras ! Vous serez plusieurs modèles pour cette campagne de pub alors je compte sur toi pour être agréable, je te rappelle les contacts ça aide dans le milieu.
— Tu dis ça comme si je n’étais jamais agréable Hector, répondit Cerise avec un brin de malice dans la voix en jetant une oeillade en biais à son producteur. T’es pas obligé de me faire ton speech avant chaque shooting tu sais, au bout de plusieurs mois ça finit par rentrer !
— Pas d’impertinence jeune fille ! fit l’homme en mimant de manière outrageusement théâtrale de lui fermer le caquet, ce qui ne manqua pas de provoquer l’hilarité de Cerise. »

D’eux deux, c’était sûrement lui le plus impertinent ; toujours le dernier mot.

Cerise descendit du taxi et fit la bise à son producteur préféré avant de se retourner vers le bâtiment où sa séance photo de la journée se déroulerait. Il s’agissait d’une campagne de pub pour le lancement d’une nouvelle marque de prêt-à-porter, et plusieurs mannequins avaient été embauchées ; elles devaient être deux ou trois mais on ne lui avait pas encore communiqué leurs noms. Elle entra dans la grande bâtisse, se présenta à l’accueil, et un assistant vint la chercher pour la conduire à l’étage pour rencontrer tout le monde. Elle échangea les premières politesses d’usage, et sans plus attendre on la conduisit aux vestiaires pour qu’elle s’y change en attendant les autres modèles.
Si on lui avait dit qui elle finirait par trouver dans cette salle, elle n’aurait peut-être pas accepté le contrat ; plus par envie de s’effacer qu’autre chose d’ailleurs.

Elle venait à peine d’enfiler la tenue qu’on lui avait donné que le bruit de la porte s’ouvrant derrière elle attira son attention et la fit se retourner.
Elle eu presque le souffle coupé le temps d’une seconde –elle n’avait pas changé.
Ou plutôt si, elle semblait plus belle encore qu’auparavant.

« Antigone… souffla Cerise d’un ton encore éteint par la surprise et la honte qui remontait instantanément à la vue de la jeune femme en face d’elle. »

is it too late now to say 'sorry' ? ❞

Une grosse boule douloureuse venait de se loger au fond de la gorge de Cerise alors qu’elle ne parvenait pas à décrocher son regard de la silhouette qui se tenait devant elle. C’était amer, ça faisait mal de la voir de nouveau sans prévenir, de sentir son parfum qui n’a pas changé, de se sentir tout à coup submergée par cette présence qui lui avait tant manquée pendant longtemps.
C’était avant que Solis n’entre dans sa vie. Quand elle ne savait pas trop que faire ni où aller après avoir claqué derrière son dos la porte du foyer familial une dernière fois. Antigone avait été sa lumière, son guide ; elle s’était vautrée avec désespoir dans tout l’amour et toute la tendresse que la jeune femme avait à offrir dans l’espoir de soigner tout ce qui n’allait plus chez elle.
Ça n’avait pas été vain ; loin de là.
Mais ça n’avait pas été assez pour qu’elle ne commette pas la seule erreur à ne pas faire : une soirée, un verre de trop, une nuit entre des bras qui n’étaient pas les siens.
Tout était parti en fumé, et c’était de sa faute.
Il n’y avait qu’une seule personne que Cerise regrettait plus qu’Antigone, et c’était Hyacinthe.

« Salut. Ça fait longtemps. »

Quand sa voix résonna à ses oreilles, milles et uns souvenirs remontèrent en même temps. Elle aurait pu en pleurer si le self-control n’était pas une priorité chez elle.

« Oui, fit-elle dans un souffle, un murmure, comme si elle ne voulait pas imposer sa présence à Antigone de peur de la blesser davantage rien qu’en se trouvant à ses côtés. Elle s’éclaircit la gorge. Je… Je peux aller demander à me faire remplacer si tu préfères. »

Ça me tue d’être à la fois si près et si loin de toi.

is it too late now to say 'sorry' ? ❞

Elle se souvenait de tout.
De la douceur de sa peau au goût de ses lèvres, de l’odeur de son shampoing préféré et de sa lessive dont le parfum imprégnait tout les vêtements qu’elle avait pu lui emprunter il n’y avait pas si longtemps ; de ses propres frissons chaque fois que sa voix fondait dans son oreille, de ses habitudes quotidiennes, et de la façon dont elle avait pu passer des heures et des heures à la regarder dormir, un léger sourire aux lèvres et une seule pensée en tête.
Je t’aime.
Elle se souvenait aussi à quel point il avait été douloureux de la laisser partir.

« Non. »

Le cœur de Cerise loupa un battement quand la voix d’Antigone résonna dans la pièce avec une puissance inattendue.

« Reste, ajouta-t-elle d’un ton subitement plus doux, quoiqu’empreint d’une mélancolie que la jeune femme comprenait ; la même tristesse était logée dans un coin de son cœur depuis qu’elle avait commis l’erreur de sa vie en se donnant à une personne dont elle ne se rappelait plus ni le nom ni le visage tant elle n’était rien comparé à elle. T’en as plus besoin que moi. »

Un rictus léger étira les lèvres de Cerise –parce qu’elle savait qu’elle avait raison.
Antigone baissa le regard sur les vêtements qu’on lui avait donné à enfiler pour la séance et le ventre de Cerise se tordit subitement à l’idée de la revoir dénudée après tout ce temps ; elle avait beau essayer de se convaincre qu’elle avait tourné la page, il suffisait d’un rien pour que le désir ardent de serrer la princesse entre ses bras ne s’anime au fond d’elle.
Elle en crevait d’envie, mais elle savait pertinemment qu’elle n’y aurait sûrement plus jamais droit.

« Hum. Comment. Comment ça va depuis le temps ?
— On fait aller, fit-elle machinalement en haussant les épaules ; quelque part elle restait honnête car elle avait beau être heureuse avec Solis, il y avait tellement de bordel à côté, en ville et dans ses souvenirs, qu’elle pouvait parfois difficilement dire que tout allait bien. J’ai adopté mon petit frère –il me semble que je t’avais parlé de lui ? »

Cerise avait raconté beaucoup de choses de son passé à Antigone –elle en avait dissimulé d’autres également. La jeune femme avait été la première à qui elle avait pu se confier sur sa situation familiale et la douleur qui lui serrait le cœur chaque fois qu’elle y pensait.

« Depuis qu’il est dans ma vie je… je vais mieux, je crois. C’est un peu plus stable dans ma tête ? »

Elle leva les yeux vers Antigone et un maigre sourire, triste mais sincère, étira ses lèvres.

« Il aime bien te regarder à la télé avec Phœnix et tous les autres. »

Moi je crève d’inquiétude chaque fois que je te vois sur le petit écran de peur qu’il t’arrive la même chose qu’à Hyacinthe.

« Et toi ? »

Je ne sais pas ce que je préférerais entendre : que t’aies réussi à tourner la page et avancer la malgré la douleur que je t’ai infligée ou que tu penses encore à moi.

is it too late now to say 'sorry' ? ❞

« Ça va. »

Cerise avait écouté Antigone parler pendant des heures et des heures quand elles étaient encore ensemble –elle avait bu ses paroles, ressenti chacun de ses mots au fond de son être, vibré chaque fois que sa voix s’était faufilée jusqu’au creux de son oreille.
Alors elle savait qu’Antigone ne disait pas tout à fait la vérité quand elle entendait l’infime tremblement au fond de sa gorge et que ses doigts étaient agités de tics –invisibles pour beaucoup, mais jamais pour Cerise.

« Mia est venue à Astrophel entre temps alors je passe du temps avec elle. Et Penny a appris à marcher récemment –un sourire sincère vint étirer les lippes de Cerise quand elle se remémora la joie d’Antigone à la naissance de sa petite nièce, et les photos dont elle avait inondé son portable quand elle était rentrée la rencontrer ; il était grand temps qu’elle se décide enfin à marcher– Elle titube encore beaucoup mais moins de fois que Peter n’a pleuré, je te jure qu’il fait un AVC à chaque fois qu’elle fait un tout petit truc, ma belle-soeur en a trop marre, elle a- hem. Pardon.
— T’excuse pas, répondit-elle d’un ton empli de toute la douceur qu’elle lui inspirait. Ça ne me dérange pas. »

Ça ne m’a jamais dérangée de lire le bonheur sur tes traits quand tu me parlais.

Antigone baissa néanmoins les yeux, les joues rosies de gêne, et cela suffit à Cerise pour revenir à la réalité –trop dure, trop vive, même deux ans après.
Elle se racla la gorge et se leva du banc pour lui laisser la place.

« Hm, je vais te laisser te changer tranquillement, elle souffla presque, le cœur au bord des lèvres, à tout de suite… »

Elle aurait cru que sa poitrine allait exploser
—c’était déchirant de la savoir à la fois si proche et si hors de portée.

is it too late now to say 'sorry' ? ❞

Cerise laissa échapper un souffle tremblant, le cœur au bord des lèvres, une fois la porte des vestiaires refermée dans son dos.
Même après deux ans de rupture, même après avoir passé plusieurs nuit dans d’autres bras, s’être réfugiée dans le travail et la lutte sociale de MIST, même après tout ça, elle avait toujours l’impression d’être à deux doigt de supplier Antigone de la laisser revenir à ses côtés.
Loin des yeux loin du cœur –c’était peut-être vrai. Mais alors que faire lorsque la personne désirée est juste sous votre nez ?
Cerise posa une main sur sa poitrine comme si cela suffirait à ralentir la course folle de son palpitant et prit une grande inspiration avant d’aller rejoindre le reste du staff sur le plateau –se garder l’esprit occupé pour qu’Antigone ne vienne pas hanter le moindre creux de ses pensées.

Quelques instants plus tard cependant, la belle était de retour à ses côtés, et sourire redevenait une corvée quand sa seule envie était de pleurer de ne plus pouvoir l’embrasser.

« Tu sais s’il y a d’autres mannequins ? »

À peine arrivée tu veux déjà me remplacer, amour ?

Cette pensée donna un rictus désabusé à Cerise qui se contenta de hausser les épaules en guise de réponse.

« Hector m’a dit qu’on serait plusieurs mais a priori il ne m’a pas dit tu serais là donc j’imagine qu’il n’était pas si bien renseigné que ça. »

Ou alors mon manager est un sadique qui se réjouit de me voir galérer en plein shooting avec mon ex. Ou encore c’est un idiot qui croit nous rabibocher.
Je ne sais pas quelle option préférer.

« Je vais me chercher un café, le studio sera pas prêt avant un bon quart d’heure et le shooting ne démarrera pas sans les autres modèles de toute façon. Cerise se mordit la lèvre et leva les yeux vers Antigone. Je t’en prends un ? Cappuccino vanille, comme d'habitude ? »

Toujours pareil –mais sans moi.