Caractère
On pourrait aisément le prendre pour un imbécile Valentino, avec ses airs de racailles et sa manie de foncer tête baissée dans les emmerdes. On pourrait le prendre pour un simple d’esprit, quelqu’un de pas bien complexe dans sa tête et qu’il est facile de comprendre ; et pourtant…
Valentino, il a un gros cerveau et un esprit affuté qui bien souvent lui ont permis de se sortir de situations critiques. Un problème vient gêner son chemin ? Il cherche la solution, il la trouve, et il fait ce qu’il faut pour régler les choses, quitte à se salir les mains. Il n’a pas froid aux yeux et même la loi n’est pas une menace suffisante pour l’empêcher de faire quoique ce soit, si seulement il est persuadé que le jeu en vaut la chandelle. C’est qu’il ne respecte pas grand chose Valentino. L’autorité est pour lui un concept un peu abstrait auquel on ne lui a jamais appris à se soumettre. Il répond aux adultes réprobateurs d’une remarque insolente, il nargue les flics trop zélés d’un doigt d’honneur, quitte à se manger une beigne ensuite, il cherche des poux à plus grand que lui s’il y trouve son compte, sans trop regarder aux conséquences direct. Pour lui, la loi du plus fort –la loi de la rue– est l’une des seules auxquelles il veut bien se plier sans rechigner, avec quelques autres de ces règlements moraux officieux inscrits dans le code d’honneur d’un homme. Cela ne veut pas dire qu’il serait prêt à commettre un meurtre ou foutre en l’air la vie de quelqu’un qui n’a rien demandé, certainement, il a quand même ses limites. Mais il ne voit aucun problème à dealer un peu d’herbe, un paquet de clope ou des antisèches au sein de son lycée pour ramener un peu plus d’argent de poche à sa famille pour ne citer qu’un exemple.
Parce que Val’, c’est aussi la loyauté dans sa forme la plus sincère qui soit. Pour lui, la famille c’est sacrée, et il ferait n’importe quoi pour garder la sienne à peu près en état –tout du moins il se décarcasse pour qu’elle ne plonge pas plus bas qu’elle ne l’est déjà. Il voue une espèce de dévotion extraordinaire pour les gens qui lui sont chers et répond toujours présent quand ceux-ci ont besoin d’aide. Frère, soeur, cousin, ami et autre, un mot suffit pour qu’il accoure, et il n’hésite pas une seconde à risquer sa peau pour celle d’un de ceux qu’il considère comme ses frères. C’est qu’il ferait le parfait super-héros si seulement il accordait plus d’importance à ceux qui ne sont pas de son clan. Mais parce qu’il côtoie régulièrement la pauvreté, les difficultés et les coups de putes de la vie, il n’est pas facilement impressionné, pas aisément attendrit devant les malheurs d’autrui. C’est une vision peut-être un peu égoïste, mais il comparera toujours la situation d’un inconnu à la sienne avant de songer à compatir. Et si par malheur l’autre se plaint alors que ce qu’il vit n’est pas si terrible du point de vue de l’adolescent, celui-ci ne manquera pas de le lui faire remarquer sur le ton amer et acerbe de ceux qui en chient pour garder la tête hors de l’eau. Il est franc, direct, il ne tourne pas autour du pot ; il est dur,
mais c’est parce que la vie elle-même est dure, et qu’il faut faire avec.Malgré tout, ses proches dirons de lui que malgré ses travers, son impulsivité et son manque de façons occasionnel, il reste une personne compréhensive, solide, sur laquelle on peut compter. Il est sérieux dans ce qu’il fait comme ce qu’il ressent, et quand il aime, il ne fait pas semblant. C’est une bonne épaule pour pleurer, pour rire, pour s’engueuler même parfois, car avec lui ça ne dure jamais bien longtemps. C’est peu être une tête de con un peu vulgaire, un peu buté, mais avec ceux qui le méritent, c’est une crème.
Parce qu’il a toujours manqué l’affection d’un père, il met presque un point d’honneur à toujours aimer encore et encore ceux qui partagent sa vie ; pour ne pas répéter les erreurs de son paternel, et un peu aussi pour s’assurer de donner suffisamment pour ne pas être jeté en retour.
Valentino, c’est cet ado’ qui a dû grandir un peu trop vite pour aider son frère et sa soeur aînés à remplacer leurs parents incompétents et absents. C’est ce petit frère avec une assurance d’adulte, c’est ce grand frère presque plus réconfortant qu’un père, c’est ce pote sur qui on peut toujours compter ; c’est celui qui aime faire la fête, qui croque la vie à pleine dents ; qui profite le plus possible pour prouver que même les pauvres peuvent s’éclater.
Mais c’est aussi celui qui s’oublie et laisse de côté ses ambitions et son potentiel pour privilégier ses proches, c’est l’adolescent au regard franc mais qui se voile d’un sérieux sans pareil dès qu’on a le dos tourné, et dont l’éclat ne permet pas de douter encore de son apparente invulnérabilité.
C’est celui qui serre dents et poings, frustré de n’être ni tout à fait un adulte, ni tout à fait un enfant.
Valentino, c’est le pilier, celui qui endure pour les autres et ferme sa gueule.
Mais il a dix-sept piges putain. Et dans sa jeunesse supposée flamboyante, il est déjà fissuré par le monde trop abrupt des adultes.
Histoire
Pour la plupart des enfants, il existe des jours, des périodes particulières dans l’année qu’ils attendent avec impatience et excitation. Les anniversaires, les fêtes, les vacances, les jours fériés. Valentino n’y a pas coupé bien sûr, quand bien même il recevait moins de cadeaux que ses camarades, qu’il n’est jamais parti en vacances, et que les fêtes familiales n’étaient pas toujours aussi réjouissantes qu’elles auraient dû l’être. Mais Valentino, s’il y a bien une chose qu’il attendait avec une impatience incontrôlable,
c’était le passage du facteur.Curieux, on se l’accorde.Et pourtant, chaque fois qu’il se tenait à l’affût du postier, et qu’il le voyait ouvrir la fente de la boîte aux lettres pour y glisser le courrier, il se précipitait à l’entrée pour le récupérer directement en main propre, avec les yeux brillants d’espoir et d’attentes.
Peut-être qu’aujourd’hui, son papa lui aura envoyé une lettre ou une carte postale ? Quand c’était le cas, il avait toutes les étoiles de la galaxie qui brillaient dans ses yeux bruns, il jetait toutes les factures et autres menaces d’expulsion sur la table sans y jeter un oeil, avant de courir vers son grand frère ou sa grande soeur qui savaient déjà lire pour qu’ils puissent lui raconter ce que son cher papa qu’il ne voyait jamais à cause du travail avait couché sur le papier cartonné des cartes postales italiennes.
Parce que son papa, à Valentino, c’était son héros, son modèle, plus imaginé que réellement connu car tout ce qu’il a vu de lui étaient des souvenirs trop flous pour être tangibles et une photo qu’il avait finit par piquer à sa mère pour la garder pour lui –de toute façon, elle ne l’aimait plus depuis longtemps son papa, puisqu’elle ramenait toujours de nouveaux amoureux à la maison, alors qu’elle perde la photo ou non n’avait pas grande importance à ses yeux ; que pour le petit garçon, cette photo, c’était son trésor, celui qu’il cachait dans son petit coffre à secrets avec toutes ses lettres, ses cartes postales, et sa collection de billes. Son papa c’était le parent parfait qui est malheureusement très occupé pour le moment, mais qui viendra le chercher un jour, c’est promis, et qui l’emmènera jouer au foot, qui assistera à ses spectacles scolaires, et qui sera là pour enguirlander les autres enfants qui l’embêtaient tout le temps à la récrée parce que
« ta mère c’est une pute et toi t’as pas de papa ».Il en crevait de l’attendre ce père tant aimé, et pourtant si peu connu. Mais en même temps, quand on grandit dans une famille aussi déglinguée que la sienne, et qu’on sait qu’il y a quelqu’un d’autre là-bas, de l’autre côté de l’océan, on ne peut s’empêcher de l’idéaliser, de se l’imaginant grand, beau, fort, et surtout aimant et digne de confiance.
Mais son papa, il n’avait rien de tout ça, et tout le monde était au courant
sauf lui.
Parce que de toute la fratrie Mendoza, Valentino était le seul à connaître son père, et il fallait le laisser espérer pour que la tristesse ne vienne pas assombrir son regard d’enfant. Alors sa mère lui racontait des choses pas toujours vraies sur lui pour le faire rêver, ses aînés faisaient attention à ce qu’il ne comprenne pas que les cartes et les lettres étaient toujours pareilles –un ramassis de banalités qu’on copie-colle sur chaque nouveau bout de papier sans vraiment être intéressé par la réponse qui pourrait en revenir ; des lettres d’un papa qui n’en a rien à cirer de son môme, mais qui manifeste sa présence de temps à autres histoire de garder bonne conscience et se dire que le gamin n’est pas totalement orphelin de père– et cachaient les cartes d’anniversaire arrivées à la mauvaise date pour ne les lui donner qu’au bon moment et le conforter dans ses fantasmagories d’enfant en manque de père.
C’était peut-être maladroit de leur part, c’était peut-être cruel au fond de le faire croire à une chimère, mais ça partait d’une bonne intention ; parce que Valentino était un gamin si joyeux et plein de vie d’ordinaire, qu’on ne voulait surtout pas qu’il soit triste de savoir que son père n’était rien d’autre qu’un pauvre type qui n’avait rien du héros auquel il rêvait depuis sa plus tendre enfance. Tant qu’il était encore petit, c’était pas bien grave après tout.
Mais il a grandit, comme tous les enfants, et c’est là que les choses ont déraillé.
—X—
En grandissant, il est devenu coriace Valentino. Il n’avait pas dix ans qu’il s’est fait plus dur qu’il aurait dû, et plus résistant qu’il ne l’était vraiment. Parce qu’il a vu un jour, aux infos, et qu’il était assez grand pour comprendre que le mafieux italien dont parlait la journaliste et qui venait d’être envoyé en prison pour tout un tas de raisons qui auraient collé des frissons à n’importe qui, c’était son père. Et au lieu de s’en dégoûter, il n’a fait qu’espérer plus encore, parce que désormais, il connaissait son nom complet, il connaissait sa localisation, il connaissait son milieu. Et vite, trop vite même, il a décidé qu’il ferait tout pour l’atteindre ce père rêvé.
Malheureusement le contexte familial n’a pas été le plus propice pour lui faire comprendre que non, vouloir ressembler à un criminel n’était pas la bonne solution.
Car elle était déglinguée sa famille, et l’avait toujours été. Sa mère était tombée enceinte beaucoup trop tôt, et ne savait qu’enchaîner les amourettes, les grossesses et les déceptions amoureuses –les bouteilles de tequila aussi. C’était rien qu’une môme, une enfant qu’il aimait profondément car elle était sa mère, mais sur qui il n’aurait jamais pu compter –ça au moins, il l’avait vite compris. Au fond ses vrais parents, c’était Lilium et Juan, les aînés, les premiers à avoir été foutus dans ce merdier et qui avaient décidé qu’ils feraient tout pour que ceux qui les suivraient ne connaissent pas la même galère qu’eux durant leurs jeunes années. Mais même eux avaient leurs failles, eux aussi avaient leur propres démons à chasser ; sauf qu’il avait pas onze ans Valentino, alors il comprenait pas –il voyait pas non plus, parce qu’on lui cachait encore la réalité pour ne pas heurter sa sensibilité d’enfant ; parce qu’il en était toujours un, assurément.
C’est seulement lors d’un étouffant mois de Juin, quand Juan s’est retrouvé devant le tribunal pour coups et blessures et tentative d’homicide sur la personne du professeur d’anglais de Lilium –qui harcelait sa soeur d’après le peu qu’il avait pu entendre– qu’il a réalisé que ses deux piliers de toujours étaient colosses aux pieds d’argiles, et qu’eux aussi pouvaient tomber.
Juan est partit en prison, Lilium faisait de son mieux pour être forte pour toute la famille, mais c’était trop tard, car Valentino avait compris ; il avait compris dès le moment où sa grande soeur s’était effondrée en larmes sur lui quand la sentence du juge fût prononcée contre leur frère.
Et de voir que le peu de stabilité de sa famille déjà si bancale commençait à s’ébranler, il a décidé que lui aussi deviendrait fort, pour remplacer Juan et protéger sa mère de nouveau enceinte et ses trois soeurs.
Alors à douze ans seulement, il a trouvé le moyen de s’enrôler dans un de ces gangs de rues qui font la réputation de certains coin de Mexico.
Et putain ce qu’il était doué.—X—
Le rite d’initiation avait été terrible. Pendant quinze secondes interminables, il avait dû serrer les dents et encaisser un tabassage en règles par trois mecs deux fois plus vieux et plus grands que lui. Parce que la violence était la première leçon qu’on apprenait dans ce milieux là ;
si t’es pas assez costaud pour encaisser une bagatelle de la sorte, alors tu vaux pas un clou. Et Valentino, il voulait être fort, il voulait se rapprocher de son père, il voulait protéger sa famille et la maintenir à flots, quitte à ramener l’argent de façon plus ou moins légale, alors tant pis pour les coups et sa côte fêlée, il encaissera et ne lâchera pas un gémissement.
Douze ans seulement, et il voulait sauver le monde, le pauvre garçon, le petit idiot, l’idéaliste aux rêves trop doux pour un monde de brutes. Mais il a passé le test, tant bien que mal, en s’arrangeant pour que les coups soient donnés là où ses vêtements dissimulaient les traces pour ne pas alarmer sa famille. Il a passé le test, et on lui a gravé au couteau les initiales du gang sur la hanche, en tout petit, pour signer son appartenance –pourtant quand bien même il avait décidé de s’y enrôler de son propre chef, il s’était senti comme du bétail que l’on marque au fer rouge au moment où la lame a tracé sa ligne de feu sur sa chair. On lui a ensuite attitré un chaperon dès qu’on a jugé qu’il était digne de défendre l’honneur du quartier à leurs côtés.
Son chaperon, c’était Dario, un grand type de vingt piges aux allures de requin. Pas très intimidant en soi jusqu’à ce qu’on le voit manier son canif avec la dextérité d’un lanceur de couteau, sourire carnassier au visage. Il l’aimait pas trop Dario, parce qu’il parlait mal et semblait détester tout ce qui n’était pas comme lui. Il crachait sur les étrangers, clamait qu’on devait brûler les pédés et tous ses autres déviants de merde, affirmait qu’une femme n’était qu’une bonne femme que lorsqu’elle était dévouée corps et âme –mais surtout de corps soyons francs– à son homme et que toutes les autres n’étaient que des salopes qui méritaient d’être violées sur place par six mecs à la fois, et dégueulait à longueur de journées tout un tas d’autres immondices du même genre dont la vulgarité écorchait les oreilles du garçon qui ne comprenait pas comment on pouvait ressentir autant de haine envers tant de monde à la fois.
Non décidément, il l’aimait pas Dario.Et il l’a encore moins aimé quand il lui a présenté la belle Ariana.
—X—
Elle était sublime Ariana ; elle lui a tapé dans l’oeil au premier regard Ariana. Parce qu’elle était digne, forte, qu’elle avait ce regard plein de détermination, celui qui criait qu’elle n’était pas prête à se faire marcher dessus et que celui qui voulait essayer devra y réfléchir à deux fois. Elle portait tout le temps ces grandes boucles d’oreilles qui tintaient dès qu’elle bougeait la tête, se maquillait peu mais bien, en accentuant son regard de lionne d’un trait d’eye-liner plus tranchant que la lame de Dario et portait toujours ses vêtements près du corps ; corps qui avait donné bien des pensées honteuses au jeune garçon qui découvrait pour la première fois le désir de posséder quelqu’un, tout comme celui de se faire posséder par cette même personne.
Elle avait à peine un an de plus que lui Ariana, et pourtant elle avait la même allure que Lilium quand celle-ci se montrait forte alors même que tout allait mal.
Mais Ariana, c’était la petite soeur de Dario. Celle qu’il interdisait de sortir sans être accompagnée, celle qui devait lui obéir au doigt et à l’oeil sous peine de se prendre un coup à la violence peu mesurée,
celle qui faisait les frais de toutes les frustrations de son frère, et l’idée même lui donnait envie de vomir. Pourtant elle avait toujours l’air si forte Ariana,
c’en était fascinant.Deux ans passèrent sans trop de casse, et Valentino prenait de plus en plus d’assurance, de confiance, d’ampleur. Il avait quatorze ans maintenant, c’était plus un môme. Il était capable de casser la gueule à plus grand que lui, capable de trouver des combines géniales pour éviter les flics lors des descentes surprises et ne se faisait jamais prendre, capable de prendre soin de ses deux petites soeurs, et encore plus de son tout petit frère, le dernier arrivé, tout en assurant d’excellentes notes à l’école qui compensaient tous les cours séchés.
Il était digne d’Ariana aussi. Il avait pris son courage à deux mains et l’avait embrassée, d’abord tout doucement, et puis passionnément dès qu’elle lui avait rendu son baiser. Elle était incroyable Ariana, parce qu’elle arrivait à être forte et à rire, à espérer et à aimer malgré toutes les horreurs que son frère lui faisait subir. Et il avait besoin de ce genre de stabilité Valentino ; il avait besoin d’elle, de sa peau brune, de ses lèvres mauves, de ses ses seins, ses reins et son regard de fauve.
Leur idylle était digne de celle de Romeo et Juliette ; démesurément intense, mais bien trop courte.
Parce que Dario, il a finit par savoir, et que ça l’a rendu furax.
—X—
Il faisait nuit, il faisait chaud ; encore un été étouffant, suffoquant –un été qui lui rappelait trop bien celui où Juan avait été condamné. C’était le genre de nuit qui était mauvais signe, mais malgré tout Valentino avait répondu présent au rendez-vous quand Dario lui avait sommé de se pointer près d’un de leur habituels lieux de réunion, dans les quartiers les moins fréquentables de la ville. Sauf qu’une fois arrivé, pas de trace de Dario, et c’était mauvais signe aussi.
Et puis tout est allé trop vite.
Une bande de mecs, tous plus âgés et plus baraqués –ils auraient pu être trois ou vingt que ça aurait été pareil– qui sont sortis de l’ombre pour se jeter sur lui avec la détermination de le laisser sur le carreau une bonne fois pour toute dès qu’ils en auront fini avec lui.
« Ordres de Dario morveux, désolé, tu t’es pas fait plaisir entre les jambes de la bonne fille. » Valentino qui se défendit comme il le pouvait mais qui se fit trop facilement avoir par leur nombre malgré tout. Et soudain la rage qui bouillonna dans son ventre, le tourbillon qui s’agita dans ses veines et les canalisations du vieux bâtiment qui éclatèrent et déversèrent leurs eaux croupies sur ses adversaires. Il avait entendu parler de ces gens nés avec des dons particuliers bien sûr, mais n’aurait jamais pensé en faire partie
–il maîtrisait l’eau bordel, la pliait à sa volonté ; le contrôle était certes bien maladroit mais il n’avait pas besoin de faire dans le subtil à ce moment là, alors il s’était contenté de tout laisser éclater, l’élément s’agitant de concert avec sa hargne.
Et heureusement sinon il n’aurait pas pu fuir le combat et sauver sa peau.Mais le mauvais pressentiment ne s’était pas atténué pour autant. Parce que Dario n’était pas là avec eux dans l’usine désaffectée, et qu’Ariana ne répondait pas à ses appels affolés quand il tentait désespérément de la joindre, tout en courant à perdre haleine pour fuir ceux qu’il avait laissé derrière. Alors ses pas précipités l’avaient naturellement conduits jusqu’à l’appartement que la belle partageait avec son frère, et l’instinct lui avait dicté de ne pas prendre le temps de sonner à la porte –du coup, il l’avait tout simplement défoncée.
Et c’est son coeur qu’il sentit tomber jusque dans ses tripes à la vue du corps de sa douce étendu sur le carrelage froid de l’entrée, du sang teintant les pointes de sa belle chevelure. Toujours pas de Dario en vue.
Merde, merde, merde, merde, merde, merde, merde, MERDE. Il ne savait plus trop s’il s’était agenouillé près d’elle ou si ses genoux avaient tout simplement lâché –il s’en foutait profondément à vrai dire, parce qu’il tenait son corps inerte entre ses bras et qu’il avait un cri de rage et de douleur qui lui restait coincé en travers de la gorge ; jusqu’à ce qu’un faible soupir ne s’échappe de ses lèvres purpurines. Elle respirait, elle était encore là,
elle n’était pas morte, putain.Alors la peur laissa place à la rage la plus dévorante qui soit, celle qui faisait tenir debout ceux qui n’avaient rien d’autre à quoi s’accrocher, celle qui hurlait au sang et à la vengeance. C’est pourquoi il sentit à peine la bouteille de vodka vide que Dario brisa sur l’arrière de son crâne, et qu’il ne réalisa que lorsque le sang lui coula dans la nuque.
« Putain de lâche. Tu cognes les filles, tu frappes les gosses, et t’as besoin de tes dix potes pour t’en prendre à un gamin comme moi ; tu mérites pas de vivre enculé. » C’était à peine s’il avait reconnu le son de sa propre voix tant la haine la déformait. Et c’était à peine s’il s’était rendu compte que sa main s’était refermée sur le pistolet ridicule qu’Ariana dissimulait toujours sur elle au cas où. Une arme de poing d’une taille dérisoire, plus petite qu’une main, mais qui pouvait sérieusement blesser à bout portant –qui pouvait tuer même, si on savait bien viser.
Et Valentino, il avait toujours été doué pour viser. Alors la toute petite balle se logea droit dans le coeur de Dario et y fit un tout petit trou d’où s’écoula un long filet de sang, avant qu’il ne s’écroule tout bonnement sur le carrelage.
Il tremblait, Valentino, comme une feuille. Il tremblait quand il a posé les doigts sur la jugulaire de Dario pour vérifier son état –mort– il tremblait quand il a passé ses bras sous la nuque et les genoux d’Ariana pour l’emmener aux urgences les plus proches, il tremblait pendant qu’on recousait son crâne et qu’on emmenait Ariana en soins intensifs. Et il tremblait encore en rentrant chez lui –sans sa douce puisqu’elle était hors de danger mais toujours inconsciente dans son lit d’hôpital.
Et puis finalement, quand les plus petits de la fratrie eurent été envoyés au lit,
il s’effondra, il craqua, et avoua tout à Lilium et Juan –qui avait purgé sa peine. Il leur avoua tout ce qu’il avait fait ces dernières années, cette peur qu’Ariana ne se réveille pas qui lui tordait l’estomac, ce profond dégoût qu’il éprouvait envers lui-même d’avoir ôté la vie d’un homme
–peut-être qu’il ne valait pas mieux que lui dans le fond. Et malgré toutes les tentatives de réconfort de ses aînés, rien n’y fit. C’était peut-être de la légitime défense,
mais il avait vraiment voulu le tuer et ça lui donnait un goût de bile au fond de la gorge.
Il fallait partir, avant de subir des représailles.Alors dès qu’il fut épargné de toute peine par la justice –étant mineur et dans une situation de légitime défense, les forces étaient tout de même de son côté, d’autant plus qu’Ariana fut présente pour témoigner dès qu’elle le put– la famille prit ses cliques et ses claques pour quitter le Mexique, et se diriger vers cette cité si célèbre –Astrophel. Officiellement, c’était parce que c’était le seul moyen pour lui d’apprendre à contenir son pouvoir si dangereux
–officieusement, c’était surtout pour éviter les moindres représailles de la part des amis de Dario.Alors il est parti Valentino, et Ariana n’a jamais voulu venir avec lui malgré les propositions insistantes de l'adolescent –parce qu'elle avait encore de longs mois de rééducation devant elle pour retrouver l'usage total de ses jambes brisées ; parce que quitter le pays où elle était née et avait grandit était trop pour elle ; et peut-être, quand bien même elle ne l'avait jamais avoué, il s'en doutait un peu, peut-être parce qu'elle avait peur de faire partie de
cette foutue famille déglinguée.
—X—
Alors depuis Valentino, il vit à Astrophel avec sa famille –à savoir Lilium, Juan, Theodora, Fiona et Pepito, dans un appartement un peu plus agréable que celui qu’ils partageaient à Mexico. Il a laissé sa mère et Ariana derrière lui au Mexique, et s’efforce comme il peut de garder leurs relations au beau fixe avec la magie de la technologie moderne. Il étudie à l’académie et s’est vite montré très doué pour maîtriser son pouvoir –cependant il n’est pas certain de vouloir faire une carrière de super, car c’est la boxe qui lui plaît, et il est encore plein de doutes quant à son avenir ; quant à beaucoup de choses à vrai dire– et travaille à mi-temps dans un bar pour aider financièrement ses aînés.
C’est dur, mais il s’accroche quand même. Parce que les Mendoza n’abandonnent pas.
Et parce qu’il a l’habitude au fond, que la vie soit dure.— Pas de vacances pour les vrais gars.