Peur. Peur, peur, peur. C’est un éclat de peur qui a traversé son regard, pas vrai ? C'aurait été
jouissif, si seulement t’avais été en état de discerner les traits de son visage, si tout n’était pas qu’un vague patchwork de couleurs floues, éparpillées, se chevauchant de temps à autres sans la moindre once de logique — tout du moins, celle-ci t’échappe. Une douleur lancinante se diffuse de ton crâne à tout ton corps, une identique depuis tes côtes, et tu te souviens le claquement sinistre qui a résonné plus tôt.
Avoir mal te fait perdre la tête. T’as jamais été vraiment passé à tabac, avant. Quelques coups avec un autre ivrogne, des menaces, tout au plus — toi, t’es plutôt le genre à éviter les affrontements directs avec les supers des autres sponsors, faute à la possession d’un don utile dans ces cas là. Tu n’en es jamais ressorti avec plus qu’une lèvre fendue et qu’un oeil au beurre noir, deux trois hématomes de çà, de là, sans grande importance, qui s’effaçaient avec le temps jusqu’à sembler n’avoir jamais été là. Mais ce soir...
Ce soir, tu te sentirais presque crever, si la douleur n’était pas si vive, si elle ne te suffisait pas à te sentir
vivant. Ironiquement, faut qu’tu sois allongé par terre, lèvre éclatée, arcade assortie, mâchoire et phalanges douloureuses, souffle court et sensation d’estomac broyé au ventre pour te sentir exister.
T’es minable, Romeo ; il a raison.Il parle, encore ; plus de peur dans son regard, de nouveau du mépris. Essayer de rendre ta vue suffisamment précise pour discerner l’éclat de ses yeux rend les choses plus pénibles encore ; t’abandonnes,
t’as perdu de toute façon. «
Ba tiens, tu en serais vraiment capable ? J’aimerais bien voir ça tu sais ! » Tu clignes des yeux, sans comprendre.
Capable de quoi ? Et puis, ça te revient ;
t’as ton couteau à la main. T’essaies d’esquisser un sourire, mais la douleur de ta lèvre est trop vive — ta tentative devient rictus désolant, demeure bouche close, et tu n’oses même pas imaginer l’étendue des dégâts. Tu sens juste le sang qui te coule sur le menton, qui s’en va tâcher tes fringues,
puis tu sens à quel point ça fait mal, et c’est le pire, sans doute.
Si tu en serais capable ? Peut-être ; t'en sais rien. T’en serais capable, oui, tu crois ;
mais à quel prix ?. Tu peines déjà à te regarder dans un miroir, qu’est-ce que ce serait ensuite, si tu commettais l’impardonnable pour si peu ?
Comme si ta propre sécurité comptait ne serait-ce qu’un peu, à tes yeux ?Lui qui n’aimait pas la vie, son instinct l’aimait pour lui ; ça ne rappelle rien, Romeo ?
«
Faudrait déjà que tu arrives à viser en plus. Tu ne sais pas frapper, tu crois que tu pourrais me (bourdonnement.) planter un couteau ? Laisse-moi rire ! Tu es juste faible et pitoyable ! Et puis, « t’obliger », (le bruit, désagréable, se mêle à sa voix, s’y entrelace jusqu’à ce que l’un ne soit plus distinct de l’autre.) c’est toi qui te prends tout seul la solution de me planter à ce que je sache, c’est facile de dire qu’on a — » Tu décroches, c’est insupportable. Le bourdonnement l’emporte, se fait sifflant à tes oreilles, se répercute dans ton crâne en mille échos. Tu n’as pas la force de l’écouter jusqu’au bout, encore moins celle de lui répondre — même pas suffisamment pour lui dire de
fermer sa putain de grande gueule. Tu te mues dans le silence, ton regard perdu quelque part au dessus de l’épaule du type.
Lumière, lumière, lumière, elle te brûle presque les rétines et ton crâne te lance d’autant plus, pourtant tu ne détournes pas le regard.
Comme si plus rien ne comptait.
Eclat vif, et ta main qui n’a plus rien à quoi se raccrocher. Tes yeux s’écarquillent sous la stupeur, tu frémis ;
merde, l’canif. C’est lui qui l’a,
évidemment, t’avais une prise si peu assurée, t’es déjà si faible, tu t’attendais à quoi ? «
Fini de jouer, en tout cas. »
Parce que c’était rien d’autre qu’un jeu, tout ça ? Si t’avais eu plus de forces, t’aurais craché dans sa
putain de gueule de con. Tu te contentes de l’immobilité, à peine rompue par une nouvelle tentative de rictus lorsqu’il tourne la lame dans ta direction.
Allez, vas-y, plante-moi si t’as des couilles, hurle le regard que tu plonges dans le sien. T’as pas peur de crever, toi,
juste peur de souffrir. La mort, tu l’as tellement frôlée, tu l’as tellement
cherchée — et tu la cherches encore — qu’elle ne t’effraie plus.
Allez, plante-moi, t’attends quoi sale chien ? Comme si lui valait mieux que toi,
comme si lui valait pire que toi, comme si lui était capable d’ôter une vie.
Est-ce qu’il sait seulement ce que c’est, que d’entendre le dernier souffle d’un homme lui échapper, et d’être celui qui l’a forcé au silence, d’être acteur du drame plutôt que spectateur ? Est-ce qu'il sait ce que c'est, que d’entendre le nom à la télévision le lendemain en sentant ses tripes se tordre dans son bide, en s'disant, putain, c'est ma faute ? Est-ce qu'il sait ce que c'est, que d'être incapable de s’ôter l’image du cadavre de l’esprit, de l'avoir qui hante la moindre pensée, la moindre seconde, pour le restant de ses jours ?
Est-ce qu’il a ne serait-ce que déjà éprouvé quelque chose, sinon identique, au moins semblable à ce qui te bouffe toi quotidiennement ?S’il te l’affirmait, t’aurais du mal à y croire.
Le couteau tombe.
Ça n’a duré qu’une seconde avant que t’entendes son fracas métallique, à quelques centimètres à peine de toi ; tes mains réagissent par réflexe en retournant s’en saisir — plus par crainte de l’égarer que dans l’idée de s’en servir. Il se redresse, se relève — ce n’est pas toi qui le retiendras ; mais tu flippes, tu flippes de ce qu’il pourrait te faire, debout, pendant que toi t’es allongé.
T’as pas peur de crever la gueule ouverte, mais t’as peur de souffrir, sur tous les plans. Parce que t’es pas raccord avec toi-même,
tu te déchires les bras sans hésitation et tu trembles quand on t’donne des coups.
T’as pas envie d’avoir mal quand c’n’est pas par choix. «
Allez, tu m’as lassé totalement en vrai. Autant te laisser, pauvre ch…. Pauvre Romy-chou ! » Tu ne réagis même pas — plus la force, plus l’envie ; tu sais qu’il te fixe mais ton regard à toi est ailleurs, vers le ciel ; tout du moins,
ça y ressemble ? Tu comptes les tâches de lumière vive qui dansent devant tes yeux, de plus en nombreuses à mesure que les secondes défilent. Elles reviennent, elles étendent leur territoire, elles —
Romy-chou ? Si tu n’avais pas aussi mal, t’aurais grimacé. T’as essayé, d’ailleurs — et tu te retrouves à étouffer une plainte en te mordant la langue. Fierté, orgueil — le peu qu’il te reste à sauver.
«
Pour la peine, je te souhaite une bonne nuit » Tu roules sur le flanc, tu craches du sang sur le sol — le goût ne te quitte pas, il emplit ta bouche et ça te file des hauts-le-cœur, à force. Il s’éloigne, et t’hésites. Pas à essayer de te relever, pas à essayer de lui faire payer — t’es pas encore suffisamment con pour croire que t’as une chance, dans ton état ; puis surtout t’as dégrisé, ça aide à réfléchir autrement que par pur instinct.
T’hésites sur ce que t’es censé dire ; t’es supposé parler ?
Peut-être pas, d'ailleurs. «
Ouais... va t’faire soigner connard... » Ce n’est plus qu’un filet de voix qui t’échappe, tant et si bien que tu ne sais même pas s’il t’entend, s’il t’écoute — dans l’fond tu t’en fous. Tu fermes les yeux, parce que l’obscurité est moins douloureuse que la lumière de la rue plongée dans la nuit. «
Comme si tu valais mieux qu’moi, Iekazu... »
Tu clignes des yeux, une dernière fois ; la silhouette se détache comme une ombre flottante au dessus du macadam. T’as froid, tout à coup, presque à en claquer des dents. Tu clos les paupières, encore, pour échapper aux éclats des lampadaires et aux reflets des morceaux de verre sur le sol — vestiges d’autres soirs, d’autres fêtes,
d’autres guerres peut-être ?Derrière ton rideau d’obscurité, c’est plus facile — oublier que t’as mal, oublier tout ce qu’il vient de se passer sans que t’y comprennes grand chose. Tu te laisses emporter, étouffer, dans un trouble cotonneux un peu trop doux, qui apaise tes douleurs pourvu que tu ne bouges pas.
Ça fait du bien, alors, tu restes comme ça, tu reposes tes muscles endoloris, tu recouvres un souffle à peu près régulier. Tu te dis cinq minutes, puis tu te relèveras ; cinq minutes, puis tu rentreras.
Juste cinq minutes.Cinq minutes plus tard, t’as déjà sombré. Tu pourrais tout aussi bien crever, ici, comme ça, seul à la sortie d’une rave. Ce serait tellement con — ce serait tellement toi.
Mais c’est sans compter sur le destin, qui se fout toujours autant de ta gueule, dans le fond.[Romeo inconscient]
ici y'aura un lien vers le rp suivant, un jour