Histoire
i - james et adam
2 ansL’abandon. Ma vie a commencé par ce terme. Une armée de gamins chialant près de moi, une ribambelle de mains me touchant, s’occupant de moi, une multitude de parents potentiels affluant autour de moi et choisissant finalement la belle petite blonde ou le brun rondouillet « trop mignon ». Non, personne ne voulait de la petite rousse au regard morose qui tenait une patte déchirée de son nounours. J’étais le dernier chiot, le vilain petit canard. La dernière roue du chariot. J’étais là depuis une éternité, incrustée au sein des murs du bâtiment.
6 ansBroome, Sud-Ouest de l’Australie. J’étais assise sur le sol. J’étais très fière du dessin que je venais de faire sur le mur. Je voulais que l’une des femmes qui s’occupaient de moi voit mon chef d’oeuvre. Elle se mettrait dans une colère noire, et ça m’emplissait déjà de joie. Elle était arrivée quelques minutes plus tard, me jetant un regard haineux. Deux hommes la suivaient. Un chauve, veste en cuir, quelques kilos en trop, affichant un sourire en coin. Un blond, les cheveux en pétard, jean déchiré, ayant l’air d’un surexcité.
«
Zoey. Je te présente ta famille d’accueil. Tu vas enfin pouvoir partir d’ici. » Elle avait l’air beaucoup trop heureuse de mon départ. Je voulais lui sauter dessus et lui tirer les cheveux, mais le blond bizarre m’avait pris sous les aisselles, me portant à ses yeux. Son regard pétillait et il puait la transpiration.
«
Saaaaaalut bichette ! Je suis James. Je serai à partir d’aujourd’hui ton papa. Tu m'appelleras papa, hein ? » Yeux ronds. Grimace. Je lui avais tiré la langue.
«
Oooh je l’aime déjà ! » Je m’étais débattue, il m'énervait et je voulais partir. L’autre homme était arrivé et m’avait pincé la joue en faisant des bruits étranges. «
Et lui c’est Adam, ton papa aussi. Tu verras, même s’il fait peur, il est gentil ! »
Yes. Un nouveau tournant. Une nouvelle vie. Et pourtant je n’arrivais pas à être emplie de joie.
On m’avait toujours appelée Zoey. C’était mon prénom, celui que mes géniteurs m’avaient donné. Mais, Zoey, ça n’avait pas l’air de plaire à mes nouveaux parents. Non, Zoey, c’était le prénom d’une collègue d’Adam. Elle était grosse et sentait le chien. Alors ils m’ont trouvé un autre nom. J’étais officiellement devenue leur enfant au mois d’avril. April fut alors leur choix. J’étais désormais April Walter.
À l’époque, James était médecin. Content de son travail à l’hôpital, son patron avait voulu le promouvoir. Cependant, le poste qu’il voulait lui offrir n’était pas disponible dans les hôpitaux avoisinant Broome. James en avait discuté avec Adam et finalement ils avaient trouvé bonne l’idée de déménager à l’autre bout du monde pour qu’il puisse avoir son job. New York devint alors ma ville, loin de tout ce que j’avais connu. Qui ne se résumait, au final, à pas grand chose.
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ii - corbeau
8 ansDes grognements sourds résonnaient dans mon esprit et faisaient vibrer mes côtes. J’ai toujours détesté quand il faisait ça. C’était ça, de plus en plus quotidiennement. Je le comprenais, sa voix n’était finalement pas compréhensible, elle n’était que murmures graves sans queue ni tête. Mais je la comprenais. Tout était clair. Et il était gentil avec moi. Nous avions de belles conversations, tous les deux.
Surprise. C’était ce qu’avait ressentis mes pères quand ils me voyaient parler seule. « Elle est pas un peu vieille pour avoir un ami imaginaire ? » Et puis, finalement, ils s’y étaient accoutumés. Ils se trompaient mais ils ne m’auraient pas cru.
Tornade obscure voltigeant autour de mon petit corps,
Dansant comme une ombre heureuse,
S'engouffrant en moi puis ressortant,
Me faisant mourir de rire.
Ouais… Elle était belle notre relation. Il était beau mon oiseau noir.
Raven. C’est comme ça que je l’ai appelé. Mon doux corbeau. Agressif mais doux, insaisissable mais pourtant si proche. Il était à moi, mon secret.
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iii - liberté conditionnelle
Du bruit, intolérable. Des fracas, assourdissants. Des paroles, inflexibles.
Raven, tu m’as toujours épuisée.
Il était là, beaucoup trop présent dans mon petit corps, dans mon petit esprit. Je n’en pouvais plus et il ne me lâchait pas. J’aurais aimé qu’il sorte et il le souhaitait aussi. Il était à l’étroit, il criait et hurlait. Pauvre petite chose.
Alors je l’avais laissé sortir. Je ne sais pas comment je fais, je le fais c’est tout. Respirer est tout aussi simple. Je l’avais laissé vivre sa vie, hors de ma chaire. Mais il était toujours relié à moi, mon petit corbeau. Je le tenais en laisse. Il y a des choses que je n’explique pas. C’est étrange. Je pouvais voir à travers son regard, c’était comme si ma vision était décuplée.
Une semaine était passée avant que le marteau qui frappait contre les parois de mon crâne ne devienne insupportable. Raven, tu devais revenir. Malgré ses protestations de retrouver sa cage trop étroite à son goût, je l’avais tiré, traîné, y avais mis toute ma force.
Et il avait cédé, se voyant aspirer dans mon corps. Pauvre petite chose. Je le contrôle, il déteste ça.
Ce jour là j’avais pris conscience de mon don. Raven n’était clairement pas un ami imaginaire. Il est moi et je suis lui. Il fait parti de moi, une partie de mon âme.
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iv - fin
12 ansJe ne suis pas seule. Autour de moi, plein de gens l’ont aussi, cette étrange capacité de contrôler des pouvoirs. Le monde est empli de magiciens. Il est beau, ce monde. Jusque-là, j’y avais cru, à ma solitude. Je me pensais même folle. Et puis finalement, j’en avais vu, des autres fous. Des choses inexplicables se passaient autour de moi et tout le monde était au courant. C’était intégré à la population. Alors quel mal ça pouvait faire ? Je n’étais pas si différente.
13 ansUn soir, j’avais décidé d’en parler à mes parents. Il fallait que je leur dise, il fallait qu’ils sachent que leur fille était extraordinaire. Ils m’avaient écoutées très sérieusement, ils étaient assez surpris. Il avait fallu que je leur prouve.
« Raven. Montre-leur. »
Une chaise propulsée, une bouteille projetée, la table bousculée, moi je ne bougeais pas. Il y avait tout du joyeux bordel d’une maison hantée. Ils avaient été légèrement effrayés, les parents. Quoi de plus normal ? James avait plutôt bien réagi après avoir repris ses esprits. Il m’avait rassurée, m’avait prise dans ses bras et m’avait dit que j’étais extraordinaire et qu’il avait de la chance d’avoir une fille comme moi. Tout ce que j’avais espéré. J’étais si heureuse. James était merveilleux. Adam, lui, nous regardait dans l’encadrement de la porte l’air creux. Il ne me disait rien, et j’avais l’impression qu’il n’osait pas me regarder dans les yeux.
« - Rien de pire n’aurait pu nous arriver… Mon dieu. James, tu as l’air ridicule. Relève-toi et écarte-toi d’elle.
- Qu’est-ce que tu racontes Ad ?
- Regarde-la. Je l’ai toujours su. Elle est… Elle n’est plus des nôtres. Nous avons fait une erreur. Je le savais… Doux Jésus je le savais. »
Je n’étais pas assez intelligente pour comprendre la signification de ses propos. J’avais cependant la certitude d’une chose. L’un de mes pères était devenu l’un de mes ennemis. Tout ça n’avait aucun sens. Je me sentais trahie. Le regard à la fois noir et confus, James m’avait envoyée dans ma chambre. Ils avaient crié toute la nuit. Je ne comprenais rien à ce qu’ils se racontaient. Mon cerveau s’était stoppé à l’entente d’une phrase. Une simple phrase.
« C’est un monstre, nous n’aurions pas dû l’adopter. »
Jours et nuits, les grognements en moi faisaient rage. Jours et nuits, les disputes entre mes parents ne cessaient guère. Et j’étais là, à écouter chacun de mes paires. Raven, James, Adam. Chacun d’eux se rebellait sans aucune raison apparente. Je n’en pouvais plus. Il fallait que ça cesse.
Douze jours. J’avais atteint ma limite. Le strict nécessaire fourré dans un sac à dos, j’avais fugué durant la nuit. Ce n’était pas compliqué : mes parents avaient un problème et ils ne s’entendaient plus à cause de ça. Si le problème disparaissait, tout irait pour le mieux. J’étais le problème. Tout s’était vite relié dans mon jeune esprit. Pas de lettre, pas d’au revoir. Je ne les ai jamais revus depuis. Finalement, ma solitude était bien présente.
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v - errance
Sac à dos bien serré, mon quotidien s’était résumé à marcher de ville en ville, user l’argent que j’avais pu prendre dans de la nourriture et de l’eau. Le reste du temps, je ne faisais rien. J’étais seule dans mes pensées, parfois coupée par des grognements sourds. Ce n’était pas une vie pour une enfant de treize ans, mais trouver une nouvelle famille pour que tout ait le même déroulement, ne faisait clairement pas parti de mes plans.
Bus vide, ruelles abandonnées, terrasses de restaurants, bancs en fer, tout ce qui m’entourait était un potentiel endroit pour dormir. Je ne restais jamais au même endroit. Je ne souhaitais pas que mes parents me retrouvent, si au moins ils daignaient partir à ma recherche.
Raven me protégeait. Il me conseillait, me disait à quel endroit aller, où dormir, quelles rues éviter. Moi, je croyais qu’il m’aidait. Non, il me contrôlait. Le contrôle était tout ce qu’il voulait. Une partie d’âme voulant empiéter sur l’autre. J’étais tellement épuisée par le manque de nourriture et de sommeil, qu’il parvenait à prendre le contrôle pour une courte durée.
Deux entités, deux caractères, deux personnalités totalement différentes et divisées dans un seul corps. Mon esprit était un bordel sans nom. Les gens avaient peur de Raven. De ce fait, ils ne m’approchaient jamais.
Je survivais, je vivais ma petite vie, m’éloignant de plus en plus de la côte est des États-Unis. Jusqu’au jour où… ce qui devait arriver arriva.
Pleine nuit
Ruelle abandonnée
Solitude perçant la toile étoilée
Un homme
Deux hommes
Trois hommes
Une jeune fille de treize ans
April effrayée
Raven apeuré
...L’Irréparable s’était produit
...Changée à jamais.__________________________________
vi - chute mortelle
Plus rien n’était à sa place. Plus rien n’était vrai. Je me sentais flotter hors de mon corps, hors de mon esprit. L’ombre de moi-même, c’était tout ce que j’étais.
Et alors j’avais fini par flancher.
Rien n’était vrai dans ce monde. La gentillesse, la douceur, tout sonnait faux. Moi qui avait peur du comportement légèrement abusif de mon âme cachée, je le comprenais amplement désormais. Ne soyons pas naïf. Ce monde est pourri de l’intérieur. Ne soyons pas stupides. Soyons implacables.
Je l’avais laissé errer dans un coin de ma tête, l’empêchant du mieux que je pouvais de ne pas s’engouffrer dans chaque interstices de mon corps. La barrière s’était levée. Raven était libre.
« Contrôle-moi. Fais ce qu’il te plait, Raven. Cesse de survivre à travers moi. »
Il ne lui avait pas fallu une parole de plus, l’ombre chaude de son corps immatériel affluait partout, devenant mon sang et mes muscles.
C’était douloureux.
Moins douloureux que ce que je venais de vivre.
14 ansJe n’avais plus rien de la petite rousse qui se laissait guider par des émotions totalement dénuées de sens. Froide, cruelle, privée de bon sens, voilà ce que j’étais devenue. Au gré des mois passés, Raven m’avait redonné le contrôle, peu à peu. Mais vivre comme lui avait vécu, en tant qu’ombre dans un cerveau m’avait fait beaucoup réfléchir. Finalement, ma vie n’avait été que mensonge. Celle que nous vivions, désormais, était parsemée de vérités toutes plus violentes les unes que les autres. J’aimais cette vie. Je la vivais. Raven et moi, avions le même état d’esprit. Nous étions ensemble, dans un seul corps, désormais unis.
15 ans« Je m’appelle Joy. J’aimerais t’aider. »
Il était très tard et j’avais été interrompue dans mon gargantuesque dîner composé d’un morceau de pain rassi et d’une pomme. J’avais relevé des yeux sans aucune lueur. Il faisait froid et elle avait un magnifique manteau en fourrure. Je devais le lui prendre.
« April Walter, n’est-ce pas ? Je suis détective. Ton père m’a envoyée te chercher. Il voudrait que tu rentres à la maison. »
Surprise. Questionnement. Retour à l’absence totale d’émotions.
« - Ah. James ? Ça m’étonnerait qu’il me cherche. Deux ans… Te fous pas d’moi et passe moi ce manteau, j’ai froid.
- N-non, ce n’est pas James. April, écoute-moi. Il… Beaucoup de choses se sont passées. Ils ont divorcé. Et… Regarde-moi ma chérie. James… a eu un accident de voiture. Il n’a pas survécu, je suis désolée.
- Oh. »
Mon coeur s’était serré si fort que mes ongles avaient rencontré la chaire de mes paumes. Puis le calme était aussitôt revenu. Aucune larmes, plus aucune douleur. Le vide intersidéral.
« Je vois encore moins pourquoi Adam voudrait me retrouver. C’est toi qu’il baise maintenant ? Ma pauvre, attends toi au pire. »
Elle avait eu l’air choquée. Elle avait tenté de me relever. Elle n’avait pas répondu, ce qui prouvait mes dires. Et ça me révoltait. Je me débattais mais elle me tenait fermement les bras et je n’avais quasiment plus aucune force.
« - Tu sais pas ce que tu fais, vieille folle.
- Allons, calme-toi, je sais que tu es triste. Partons maintenant. Ton père a hâte de te revoir.
- Raven.
- Hein ? »
Liberté. Elle avait été projetée au sol d’une force incroyable. Tremblante. Quelle victime. Je m’étais approchée de son corps allongé jusqu’à me trouver au-dessus de son visage. Je mâchouillais mon bout de pain.
« Qu… Qu’est-ce que tu es ? Tu… es un monstre… »
Quinte de toux, respiration hachée, et pourtant elle parlait toujours. Quelle plaie.
« Finis la. »
Je m’étais retournée, avalant le pain dur et laissant mon double faire le boulot.
Mes yeux n’avaient jamais été aussi vides.
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vii - renaissance
J’avais tué quelqu’un. Cet acte m’avait hanté l’esprit quelques jours après qu’il se produise. Tous les jours, toutes les nuits, je revoyais son visage. Ses derniers mots restaient ancrés dans mon cerveau. Tu es un monstre. J’en étais de plus en plus certaine : oui, j’étais un monstre. Était-ce la définition de ma misérable vie ?
Un immeuble de six étages, un toit, une rambarde, le vide. Je m’y voyais. Je pouvais voir ma chute avant même qu’elle ne débute. Je voyais une personne appeler une ambulance, des cris affolés autour de moi. Peut-être que c’était pour le mieux. Des gens allaient enfin s’intéresser à moi. Enfin. J’allais me sentir utile et appréciée à ma mort. Mieux que rien.
Bras à l’horizontal, baskets à moitié dans le vide, un ange tombait du ciel. Les yeux fermés, j’avais l’impression que la chute était infinie. Non. Il y avait un problème. Je ne tombais pas. Arrêtée à l’horizontale, c’était comme si j’avais changé de plan.
« Lâche-moi Raven. »
Grognement puissant, résonnant sur les parois de mon crâne et se répercutant dans tous mes os. Il avait son mot à dire. Une larme était tombée à ma place, s’écrasant sur le béton au sol, douze mètres plus bas.
Défaite.
16 ansServiette maculée de bleu étalée sur une chaise d’un vieux bâtiment abandonné, je me regardais dans un miroir brisé en deux. Adieu orange, bonjour bleu cobalt. J’adorais mes nouveaux cheveux. J’étais irrésistible.
Adieu April Walter, bonjour April Zoey. Je ne voulais plus entendre parler de ma vie d’avant.
Adieu beau visage enfantin, bonjour piercings sexy à la lèvre et aux oreilles. Tout était merveilleux et j’étais magnifique.
C’était l’heure du renouveau. L’heure du changement. L’heure d’une nouvelle vie.
Adieu noyade inévitable.
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viii - jimmy
17 ansArizona. J’avais marché plusieurs heures sans m’arrêter pour ingérer quoi que ce soit. Il neigeait et j’étais exténuée. Je rêvais d’un matelas osseux et d’une couverture mitée. Tant pis, un mur allait faire l’affaire. Aussitôt que mon dos avait touché la paroi froide, mes paupières s’étaient fermées. Je m’étais réveillée quelques heures plus tard en étant tout aussi épuisée. Rien n’avait changé autour de moi à l’exception d’un tout petit détail : je ne me trouvais plus au même endroit et un homme était installé près de moi, me tenant chaud.
« Salut la Belle au bois dormant. Je t’ai vu par terre inconsciente, tu m’as foutu les jetons tu sais. C’est pas une bonne idée de s’installer dehors par un temps pareil. »
Le soupire et la lassitude avaient été plus rapides que les remerciements. Je ne voulais pas de lui dans mes pattes, mais la chaleur que je ressentais en étant collée contre lui m’avait poussée à rester.
« - J’m’appelle Jimmy.
- April. »
Aucune autre question, aucune autre remarque. Il s’était contenté de mon prénom. Ça m’avait surpris, mais j’avais beaucoup apprécié.
Une chose en entraînant une autre, j’avais fini par rester avec lui. J’avais fini par l’apprécier. Et puis j’avais fini par en tomber amoureuse. Il ne savait strictement rien de moi, et je ne savais rien de lui. Nous étions Jimmy et April, les deux inconnus, fait l’un pour l’autre.
Et c’était merveilleux.
Il chantait avec sa guitare, je dessinais, et nous étions devenu les sans-abris les plus riches du quartier.
« Essaie-moi ça. Tu vas voyager. »
Et là était arrivée la drogue. Cocaïne, multiples herbes, drogues de bas étages en tout genre. On s’en empiffrait. Nos journées n’avaient plus aucune différence avec nos nuits. La vie était belle.
Les meilleures années de ma vie, elles se trouvent entre les mains de mon Jimmy.
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ix - overdose
20 ansIl avait finit par apprendre la présence de Raven. Ma double présence. Il s’en était réjouit. J’étais son ange venu d’une autre planète et il était ma bouée de secours.
Et puis il est mort.
Overdose.
C’était évident qu’il allait en crever, de son addiction. Je l’avais trouvé inerte dans mes bras, au beau milieu de la nuit. Il était froid, transpirant et le regard creux. La plus atroce vision de ma vie, je l’avais devant mes yeux.
Après avoir hurlé contre la vie et mon sort, après avoir évacué l'entièreté des larmes hors de mon faible corps, j’ai pété les plombs.
Sang, violence, monstre, humanité envolée, fuite loin d’ici, sang, violence, sans répit.
Raven était dans une rage comme je ne l’avais jamais connu. Il m’avait jetée et pris le contrôle total. Je ne pouvais plus rien faire.
La fin était arrivée.
Ça recommençait.
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x - enchaînée
Après quelques semaines, j’étais finalement parvenu à reprendre un peu le contrôle, faisant fi de ma rage et de ma tristesse. Mais Raven était beaucoup trop présent. Et j’avais des envies horribles, des envies de massacres, des envies de tueries. Dans un élan de sagesse et de force, j’étais parvenu à m’enfermer dans un bâtiment où traînaient des sans-abris. J’avais trouvé par on-ne-sait-quel-miracle des chaînes et des menottes.
Enchaînée. Voilà ce que j’étais devenue. Offrant quelques billets à un jeune garçon qui vivait dans le bâtiment, il me nourrissait et venait me parler. Il s’enfuyait parfois, face à ma monstrueuse et répugnante double facette qui émergeait. La soif d’argent était cependant plus forte que lui et il était toujours revenu à moi.
Je n’avais aucune idée du temps qui s’écoulait. J’étais en manque. Mon addiction aux multiples drogues se ressentait et j’en avais besoin.
[...]
Le calme avait finalement fini par se montrer. Plus d’envies menaçantes, plus de soif de sang. Le regard vide et dénué de tout sentiment avait néanmoins refait surface.
J’étais la fille folle aux cheveux bleus ou plus véritablement, l’ombre d’elle-même.
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xi - nouveau départ
22 ansCôte Ouest, c’était ma dernière étape. Astrophel City. Je sentais que j’allais bien m’y sentir. J’avais décidé d’y rester après m’y être arrêtée quelques jours.
Cette fois-ci, le nouveau départ se devait d’être réussi. Plus aucun faux pas. Une vie normale, avec un job, un appartement, et un chat.
Le bidonville était devenu ma nouvelle demeure. Cette endroit était mille fois mieux que tout ce que j’avais pu avoir dans ma vie. Je ne parlais quasiment à personne mais j’allais tous les jours dans la zone de non-droit exposer mes dessins.
Un job de dealer m’avait tendu les bras et je l’avais pris à contre coeur. Il était hors de question que je replonge là-dedans, mais il me fallait de l’argent.
Après quelques mois dans ce trou, j’avais enfin passé les portes de la ville. Errant dans les rues à la recherche d’un job, étalant l'entièreté de mon panel d’oeuvre sur chaque bureau de chaque salon de tatouages de la ville. Le troisième avait finalement accepté ma demande et m’avait pris en formation.
Après mon premier salaire, l’installation dans un véritable appartement avec quatre murs et un toit m’était tombée dessus. C’était étroit mais propre et très viable. J’étais férocement heureuse. Le district d’Hiawatha devint mon quartier et je m’y plaisais bien.
Dans mon dos, Raven était là, tatoué de haut en bas. Une rose fanée enlacée par un immense corbeau noir, c’était exactement lui qui me protégeait.
Mon passé loin derrière moi, je pouvais pour la deuxième fois tenter une nouvelle vie.
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xii - orage
La vie à Astrophel n’était finalement pas ce que j’avais pu envisager. Après quelques mois, les doutes qui s’étaient accumulés avaient finis par s’avérer exacts. Tout ce qui se passait, tout ce qui se déroulait autour de moi, le sang, la soif de pouvoir, la violence du combat, l’injustice, la douleur et l’absence d’innocence, tout ce que je ressentais ici à travers les gens… Tout ça avait toujours été ma vie. Rien n’avait changé. Et la réalité m’était enfin apparue. Le monde était pourri. Il était gangrené de l’intérieur.
Les sponsors, les supers, les combats-spectacles, rien n’allait. Les dotés, comme moi, se faisait utiliser. Comment pouvaient-ils ne pas le remarquer ? Comment pouvaient-ils l’accepter ? Ils n’étaient que des chiens, que des robots utilisés pour amuser la galerie. Je trouvais ça répugnant.
Mist, un groupe de révolutionnaires m’avait accueillie. J’étais décidée à éradiquer la menace que représentait les sponsors et toute leurs foutues organisations.
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xiii - aube
24 ansRien.
Strictement rien.
Voilà ce qu'avait changé Mist en un an.
Rien d’autre que la déception ne m'avait envahit. Je n’étais pas en colère, seulement foncièrement déçue.
L’attentat meurtrier de la tour d’Eden, ç’avait été quelque chose. Des pertes, il y en avait eu, certes. Mais qui osait s’appeler révolutionnaire s’il n’était pas capable de faire des sacrifices ?
Je n’avais plus l’envie de vivre dans ce genre de ville mortuaire. Mist ne se battait pas, il se contentait de parler, recruter dans l’ombre, et c’était tout. Ridicule.
Une lettre de démission écrite, mes affaires faites, j’étais prête à quitter définitivement Astrophel et repartir à mes crapahutages. J’avais dans l’idée de partir en Arctique. Peut-être que les phoques et les ours eux, seraient plus humains que les humains eux-mêmes. Je ne le suis pas non plus, je suis un monstre, mais comment voulez-vous changer et progresser dans une société telle ?
Et puis, Dawn fit son apparition à mes yeux. Tout avait l’air radical, extrême et surtout, loyal à ses idéaux.
Ni une ni deux
Mist devint passé
L’aube d’une nouvelle destinée s’offrait
Et j’en serai l’une des causes.