SONG |“The most complicated skill is to be simple.” ― Dejan Stojanovic   •••

15h12
La musique est trop forte.
Tu le sais, on te le dirait.
On te le dit toujours.
Mais t'as continué d'augmenter le volume en ignorant le message d'avertissement. Celui qu'on ne lit pas. Qu'on ne lit jamais parce qu'on a vite fait de le faire disparaître d'un appui du bout du doigts.
Qu'il est juste là pour ne pas dire qu'on nous a pas prévenu.
Oui, on agit en connaissance de cause, faut pas s'inquiéter, on est bien prévenu, c'est bon mais alors quoi ?
Ça n'arrête pas, vous savez. Quand on veut que ça inonde, que ça prenne à la gorge, à la tête. Que ça nous prenne tout entier pour s'boucher les oreilles à soi-même. Pour ne pas entendre ce qu'on se dit.
T'en a besoin, toi, Dim. De cette musique trop forte.
Ouïe prise et tête inondée.
Quitte à t'abîmer l'audition, un peu trop, un peu trop tôt – Aïden, il te le dit toujours, qu'un jour tu vas regretter mais en attendant, t'as pas le choix.
Pas le choix, c'est ce que tu dis.
Soit ça, soit les autres « solutions ». Parce que t'en as bien, Dim, faut pas croire mais à choisir, celle de substitution on te la conseillerait.
                           pas dans le sang elle au moins.
Alors t'es le mec là-bas, celui qu'on retrouve souvent là-bas.
Dans cette friche industrielle.
De dos, la capuche relevée, sur ton skate si t'es pas perché sur une plateforme les jambes dans le vide.
Parce que c'est ton endroit. T'aimes te le dire en tout cas.
Celui où t'oublies.
Le reste et les autres.
Peut-être un peu toi-même aussi.
Quand tu peux faire tomber le masque, pour une fois, maintenant que t'as plus à jouer, que les rideaux sont fermés, que le monde est parti si ce n'est toi qui les a esquivé.
Que t'es retourné dans les coulisses.
Dans les loges.  
C'est pas très beau à voir d'ailleurs. Pas très bien rangé pour être honnête. Un peu trop désordonné. T'as des pensées éparpillés au sol, quelques doutes cassés, amas de questions dans un coin et peut-être aussi un placard qu'il faudrait pas ouvrir pour éviter de se prendre en pleine figure des émotions que t'avais pas envie de ranger ou de voir.
En plus de te boucher les oreilles, Dim, tu te caches les yeux aussi.

-Merde
Mauvais mouvement.
Une grimace se forme sur tes lèves, sourcils froncés, énervé par ta concentration qui s'était dissipée. Que d'autres pensées avaient accaparée.
Encore une fois.
Tu remets alors ta planche, un peu trop brusquement.
Résonance de ta frustration.
Et puis tu fermes les yeux, desserrant tes poings en faisant craquer tes doigts.
Histoire de te concentrer sur les paroles.


Parce qu'ici, c'est toi qui te fait le plus bruyant.
C'est son silence que seul toi brises lorsque tes roues tournent sur le béton.
Lorsque ta musique semble déborder de tes oreilles.
Lorsque les mots qui se fracassent contre tes tympans rivalisent avec ceux dans ta tête.
Guerre à deux balles.
A celui qui gueulera le plus fort.
Pour couvrir le bruit de fond. Celui un peu trop encombrant, un peu trop envahissant.
Parce que ce sont tes pensées qui te prennent en étau le crâne et qu'aucun médicament ne peut le desserrer.
Faut juste serrer les mâchoires et prier que ça passe.
Subir.
En espérant ne pas être trop abîmé.
Alors tu peux bien aider.
Soulager des fois.
A défaut que ce soit l'extase au bout des lèvres ou les narines prises.
Faut bien que tu trouves ton paracétamol à toi quelque part.
Eviter que tu pètes un câble.
Parce que ça abîme.
Parce que ça fatigue.
Parce que ça use tout ça.
Le trop de réfléxion.
Alors tu lâches ta planche.
A défaut de lâcher prise.
Streeter.
Entre béton et métal.
C'est les tricks que t'enchaînes avant de replaquer.
Et puis plus vite
Toujours plus vite
Plus haut aussi.
Adrénaline au bout des jambes.
Parce que t'as besoin de ça Dim.
Sentir les battements de ton cœur, ton souffle qui s'accélère. Prêt à être à bout. A se couper.
Oublier ce qui te pèse. Ce qui fait poids à ta tête. Leste. Ce que tu portes comme un fardeau, obligé de mettre les mains pour la tenir. Pour retenir. Eviter que ça force un peu trop. Que ça se fissure.
Ca ferait pas beau.
Mais là, ça va, ça se sent. Ça se voit.
Le sourire au bord des lèvres, dans le coin, t'as le visage qui se fait plus doux, Dim.
Moins encombré.
Moins froid.
Malgré les cernes qui sont toujours là.
T'entends plus trop le bruit de fond. T'entends rien d'autre en fait que la musique qui te perce les tympans.
Alors tu remarques pas, Dim,
Qu'elle est là.
La fille un peu comme toi.
Celle qui se fait illusionniste tout comme toi.
Avec son joli masque, de roses sourires et yeux pailletés.
Parce qu'on se reconnaît dans le métier, certainement ça. Ou ses yeux, qu'ils l'ont trahie. Certainement ça aussi. Comme à chaque fois.