Allegra est une discrète princesse au calme inébranlable et au sourire serein. Son sang-froid est presque surhumain, la réflexion avant l'action dit-elle toujours. Elle aime avoir le contrôle, être parfaite, ne présenter aucun défaut. Elle aurait rapidement pu virer en reine des glaces psychorigide, je vous l'accorde. Pourtant au-delà de sa tendance à refuser catégoriquement d'être dans le tort, au-delà de sa difficulté à admettre s'être trompée ou à s'excuser tout simplement, Allegra a une âme douce. Compatissante, la jeune femme a toujours eu le cœur sur la main et a toujours fait de son mieux pour aider son prochain. C'en est presque un devoir à ses yeux. Elle a vécu dans une famille aisée, n'a jamais été pauvre, elle se doit d'aider ceux qui n'ont pas eu sa chance. Elle est généreuse Allegra et ne tolère pas l'égoïsme. Ce n'est pas une sainte évidemment, elle peut avoir la langue acérée et sa manie de juger trop rapidement autrui la pousse parfois à être involontairement cruelle. Elle aime réfléchir mais parfois sa langue va plus vite que son cerveau, elle n'y peut rien. Elle veut tout de même faire illusion, parce qu'elle n'aime pas exposer ses défauts. Et son talent d'actrice l'aide beaucoup pour le coup.

Elle a conscience des défauts du système des sponsors et des Supers. Elle n'est pas aveugle et ne l'a jamais été, elle n'aime pas se voiler la face dans un paradis illusoire. Elle combat dans l'Arène d'Astrophel avec les autres Supers pourtant, comme si elle y sauvait véritablement des gens, alors qu'elle n'est qu'actrice. Elle s'est construit un personnage sur cette scène grandeur nature, un personnage bien plus pétillant qu'elle ne le sera jamais, plus audacieux, plus téméraire, plus biaisé aussi certainement. Si elle aime se considérer juste dans la vraie vie, dans l'Arène elle défendra son Bien même si ce n'est pas pour le Plus Grand Bien, une nuance importante.

Elle est devenue une Super et ce pour plusieurs raisons. Parce qu'il n'y a pas qu'une seule façon de sauver des gens, avoir une figure publique à admirer peut aider certaines personnes, elle le sait, elle l'a déjà vu. Parce qu'elle aime la sensation d'être sur une scène, de se donner en spectacle, d'utiliser son don quotidiennement et de le mettre en valeur, de se mettre en valeur avec ses collègues. Dans l'Arène elle n'est plus la discrète et calme Allegra, elle peut devenir l'explosive et inratable Maestria. Elle se déchaîne dans l'Arène et ça fait du bien parfois, même quand il y a une scénario qu'il faut suivre à la lettre, elle est actrice après tout, ça ne la dérange pas tant que ça. Parce que si les sponsors n'existaient pas, peut-être qu'il y aurait quelque chose de pire à leur place. Allegra est optimiste dans les situations difficiles, elle est persuadée que la tempête qui cache le ciel bleu se dissipera un jour d'elle-même ou grâce aux efforts donnés, elle essaye de voir le verre à moitié plein. Mais malgré son optimisme, elle n'a pas grande foi en la bonté de l'humanité. Ce ne sera jamais parfait, mieux vaut se contenter de ce que l'on a tant que ça ne dépasse pas de bornes (éthiques ou autres) plutôt que chercher à l'améliorer pour l'empirer. C'est déjà arrivée plus d'une fois dans l'histoire de l'humanité.

Allegra est mature pour son âge, peu fêtarde, sociable mais retranchée dans son monde. Allegra c'est l'amie, parfois la confidente, mais jamais la meilleure amie. Déjà vieille à vingt-quatre ans rit sa sœur. Elle s'en fiche honnêtement, tant qu'elle est satisfaite de sa vie elle se fiche de ce que les autres pensent. Et oui elle est intransigeante envers elle-même, pointant toujours les défauts avant les qualités. Oui, elle est efficace dans ce qu'elle fait, elle travaille vite et bien, et a tendance à sous-estimer la capacité des autres à faire de même s'ils n'ont pas fait leurs preuves. Oui, elle aime faire les choses à sa manière et aime discuter quand on lui donne un ordre contraire parce qu'elle veut connaître la justification de chaque action (elle ne veut vraiment pas se ridiculiser… oui, elle a aussi un léger manque de confiance en elle-même malgré les apparences). Sauf dans l'Arène, dans l'Arène elle sait que les chef d'équipe sont nécessaires quand il y en a et qu'elle peut obéir sans discuter parce qu'ils savent ce qu'ils font. Elle a découvert le vrai travail d'équipe avec ses premières missions. Oui, elle est aussi légèrement arrogante car parfaitement consciente de ses capacités (peut-être un peu trop).  Et oui, oui, clairement, elle est un peu trop bon public quand il s'agit de jeux de mots ou blagues peu recherchés.

Malgré tout, le plus important à retenir d'Allegra est peut-être sa passion. La musique, par instrument ou chant. Elle écoute, elle joue, elle chante, elle savoure. Elle vit à travers la musique et ne se déplace jamais sans elle. La musique lui fait ressentir plus qu'elle ne le pourrait sans elle ; elle traverse la vie avec un filtre musical permanent. La musique est porteuse de joie sans fin. De frustration aussi, beaucoup, et la patience est nécessaire, mais le dur travail que la musique requiert ne rend que plus beaux les succès. Allegra n'est peut-être pas naturellement patiente mais elle a développé cette qualité avec soin au fil des années. De l'avis de sa sœur, ce n'est peut-être pas si bien que ça tout compte fait. Elle en semble presque passive de temps en temps, entre sa patience et son calme.

Une main sur sa joue, la tête inclinée sur le côté, les yeux fermés et le visage serein, Allegra semblait la figure même de la réflexion. Ou du sommeil. Une plainte retentit à sa droite sans qu'elle ne bouge, elle daigna ouvrir un œil lorsque le même bruit retentit à sa gauche. Son iris bleue tomba sur la silhouette de ses sœurs, les deux clones. Cheveux bruns teintés de mèches vertes, yeux bleus, traits fins, elles n'avaient que onze mois d'écart et l'allure de vraies jumelles. Iris et Venetia, les deux furies de la famille. La seule chose qui les différenciait véritablement était leur coiffure, Iris portait les cheveux longs qui tombaient en vague dans son dos et Venetia les relevait sans cesse en chignon ; bien que lorsqu'on les connaissait leur caractère les vendait aussi. Allegra ressemblait plus à leur père que les jumelles ne se ressemblaient.
 
« Mais Allegra… ! geint Iris.
—Que veux-tu que je te dise ? soupira Allegra pour la énième fois. Tu es en tort, c’est un fait.
—Tu n’es pas censée être du côté de ta sœur ? râla Venetia.
—Je la défendrais si elle est attaquée mais honnêtement, ne viens pas me dire que tu approuves ce qu’elle a fait.
—Je suis là, grommela Iris. »
 
Allegra fronça les sourcils et resta silencieuse, les bras croisés sur sa poitrine. Claire indication qu’elle ne changera pas d’avis. Elles se trouvaient toutes les trois dans la cuisine de la maison de leurs parents, Allegra ayant quitté Astrophel City pour une visite familiale. Leurs parents étaient sortis, profitant du beau temps pour aller se promener et Iris en avait profité pour raconter ses derniers déboires amoureux. Et autant Allegra avait tendance à être de son côté, autant cette fois-ci elle ne pouvait pas vraiment la plaindre.
 
« Allegra n’a pas tort, grimaça Venetia. Un homme marié franchement… Il a le double de ton âge en plus.
—Oh, ça va ! Seulement quinze ans, c’est pas tant que ça, répliqua Iris en levant les yeux au ciel.
—Ca ne change rien au fait qu’il soit marié, tu ne peux pas te plaindre de sa femme qui devient envahissante quand tu es la grande méchante de l’histoire.
—Lui aussi.
—Tu m’as compris, souffla Allegra. »
 
Iris haussa les épaules et détourna le regard, le menton caché dans ses bras croisés sur la table. Allegra lança un regard équivoque vers Venetia qui leva les mains avec impuissance. L’aînée leva les yeux au ciel et prit le parti de détourner la conversation. La vie sentimentale d’Iris avait toujours été pour le moins compliqué de toute façon, ce n’était pas demain la veille qu’elle se séparerait de son cœur d’artichaud.  
 
« Qu’est-ce que vous comptez faire pendant vos vacances ? »
 
Non contente d’être presque jumelles, Iris et Venetia avaient toujours été particulièrement proches, au point de passer chaque vacance ensemble. Si Allegra les accompagnait autrefois, ce n’était plus autant le cas depuis qu’elle avait été officiellement embauchée par Persona, il y avait quatre ans. Elle ne prenait de vacances que lorsqu’elle sentait avoir besoin d’une vraie coupure et généralement retournait chez ses parents pour une semaine et quelques de pur repos et de desintox’ totale de réseaux sociaux. Il arrivait tout de même qu’elle parte parfois en voyage avec ses sœurs pour un temps entre filles. Ce n’était pas tant qu’elle était un bourreau du travail, elle appréciait juste réellement ce qu’elle faisait. Super-héroïne, actrice, peu importe, elle s’amusait et honnêtement c’est tout ce qu’elle cherchait dans ce travail.
 
« On pensait aller au Groenland. Iris a parié que je ne survivrais pas, répondit Venetia avec un air vaguement offensé.
—Je maintiens ! s’exclama Iris en se redressant. Tu es tellement frileuse, ricana-t-elle, tu vas geler avant d’avoir vu les aurores boréales.
—… Vous savez que vous n’avez pas à aller jusqu’au Groenland pour voir des aurores boréales ? pointa Allegra. »
 
Elle fut ignorée. Ce qui la fit lever les yeux au ciel, habituée à la mauvaise foi de ses sœurs.
 
« Et toi alors ? Tu vas prendre quelques jours de congé cette année ?
—Hm, oui je pense. Je n’ai pas aidé au refuge depuis longtemps, sourit-elle.
—Tu sais, des vacances c’est pour se reposer, sourit Venetia d’un air désabusé.
—Est-ce que tu arrêtes de travailler à un moment donné dans ta vie ? s’exaspéra Iris. Tu n’as pas arrêté depuis tes treize ans ! Toujours à bosser soit pour les cours, soit pour les associations bénévoles, soit pour les sponsors à la con dans ta ville de tarés…
—Arrête Iris, murmura Venetia.
—Tu n’es jamais fatiguée ? s’exclama Iris. Je suis fatiguée rien qu’à te regarder faire. »
 
Allegra plissa le nez, une moue désapprobatrice sur le visage. La façon dont elle occupait son temps ne regardait qu’elle. C’était irritant cette façon qu’Iris avait de se mêler de tout ce qui ne la regardait pas et de juger. C’était de famille, bien sûr, Allegra aussi jugeait les autres un peu trop rapidement mais elle avait la délicatesse de le faire silencieusement. Le regard calme de l’aînée affronta sereinement les yeux étincelants de sa cadette. Elle avait toujours admiré ses yeux, ils étaient si vivants… ils trahissaient tout ce qu’Iris ressentait. C’était la seule de la famille à avoir des yeux comme ça. Ceux de Venetia avait tendance à se détourner trop facilement pour éviter de livrer ses pensées, ceux de leur père étaient toujours trop doux, ceux de leur mère étaient trop rieurs et ceux d’Allegra bien trop calmes. Ce fut Iris pourtant qui céda en première. Allegra était trop têtue, elle ne baissait jamais les yeux. Voilà bien un trait de caractère qu’elle partageait avec Maestria, la fierté de chacune de ses actions. Elle assumait tout Allegra, sauf ses fautes, et elle le savait. Il y avait une raison pour laquelle elle cherchait à paraître parfaite : ne pas avoir à assumer ce qu’elle ne voulait pas assumer. Elle était un peu lâche Allegra malgré son statut de super-héroïne et son cœur généreux. Venetia se racla la gorge, le bruit rompant le silence tendu qui régnait entre les deux sœurs, et Iris se détendit de nouveau sur sa chaise pour relancer la conversation, comme s’il ne s’était rien passé. Elle jugeait vite Iris mais ne portait d’importance à rien alors elle oubliait facilement les émotions vives qui la parcouraient.
 
« Et dans tout ce boulot, t’as quand même réussi à avoir une vie sentimentale ?
—Cette conversation est nécessaire ? soupira Allegra. C’est toi qui me fatigues là.
—Ooooh allez ! En vingt-quatre t’as jamais ramené personne à la maison, c’est pas marrant ! geignit malicieusement Iris.
—Bon, on va s’arrêter là avant qu’elle ne te crie dessus, soupira Venetia qui gagnait un sourire de gratitude de son aînée. Les parents seront moyen contents de te retrouver encastrée dans le mur de la cuisine.
—Ça ferait cher à réparer après tout, persiffla Allegra en inspectant ses ongles parfaitement manucurés.
—Vous êtes chiantes, je vais jouer avec Noaidi.
—Tu fuis Iris, tu fuis, la nargua Allegra d’une voix chantante.
—C’est triste de se rabattre sur le chien, il ne t’a rien fait de mal le pauvre, l’enfonça Venetia en souriant.
—Je vous aime pas ! cria Iris depuis le salon.
—Nous non plus, rétorquèrent-elle en chœur avant de se lancer un coup d’œil complice. »
 
Iris ne répliqua pas et Venetia sortit son portable pour jouer tandis qu’Allegra scrollait le long de son fil d’actualité. Elle avait toujours adoré la maison de ses parents, même si elle n’avait pas pu y habiter souvent. Elle était plus ou moins SDF quand elle était petite. Son pouvoir s’était manifesté tôt mais elle avait étudié dans des écoles normales jusqu’à ses treize ans. A partir de là, elle avait été prise à Astrophel Academy et était allée vivre chez ses grands-parents maternels la semaine, ne revenant chez ses parents que le week-end et les vacances. Ce n’était pas si mal, elle aimait ses grands-parents, mais elle adorait être ainsi dans la maison de son enfance, dans un silence paisible uniquement troublé par les aboiements du chien embêté par Iris ou les quelques phrases qu’elles s’adressaient parfois. Elles allaient être taxées d’asociales par leurs parents mais honnêtement c’était un bon moment qu’elles partageaient. Elles ne parlaient peut-être pas, ne faisaient rien de particulier ensemble, mais elles étaient ensemble et franchement c’était tout ce qui comptait parfois. Le silence était aussi bien que la parole après tout.
 
« La parole est d’argent mais le silence est d’or.
—Qu’est-ce que tu racontes Allegra ?
—Rien, rien. »
 
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Le soleil tapait fort et l’odeur qui montait des déchets sur les trottoirs faisait presque suffoquer la Super. Entourée de plusieurs autres bénévoles de son association, Allegra parcourait le bidonville de l’autre côté du Pont Noir. Distribuant de la nourriture, de l’eau, des vêtements, sourire largement aux enfants qui paraissaient extatiques, sourire gentiment les adultes pour les rassurer. Compatir sans prendre pitié, rire avec eux comme elle rirait avec n’importe qui d’autre. Les traiter comme des humains et non comme des pauvres bêtes rejetées par la grande Astrophel. C’était une partie de son quotidien depuis qu’elle était arrivée à Astrophel.
 
Elle s’était battue pour entrer dans une association humanitaire à ses seize ans et avait tenu à participer aux actions sur le terrain. Elle ne voulait pas faire des photocopies et être remerciée avec un sourire paternaliste. Allegra voulait aider. Véritablement aider. C’était pour ça qu’elle s’était dirigée vers les sponsors, les héros, lorsqu’elle avait dû choisir une orientation professionnelle et non vers l’humanitaire comme elle l’avait prévu avant de découvrir Astrophel. Pour devenir l’un de ces symboles qui aidaient les gens à relever la tête. Qu’importe que la majorité soit scénarisée, qu’elle soit plus actrice que héroïne. Elle savait que cela aidait des gens, elle avait lu chaque lettres, emails et autres messages qu’elle avait reçu sous le nom de Maestria. Elle essayait de répondre aussi, dans le peu de temps de tranquillité qu’elle avait entre toutes ses activités. Il y avait une autre raison aussi. Les sponsors étaient puissants, les Supers bien payés et elle pouvait utiliser tout ça pour aider plus de monde. Elle n’était pas encore assez connue en tant que Maestria pour impacter véritablement l’opinion publique mais un jour elle y arriverait, elle se le promettait à chaque fois qu’elle recevait un remerciement pour sa gentillesse alors que, vraiment, c’était naturel d’aider. En attendant elle aidait de son mieux ; à sa petite échelle – en tant qu’Allegra, parce qu’elle n’avait pas vraiment cherché à dissimuler son identité mais pas non plus à la révéler – et à une plus grande – parce que la Super-héroïne Maestria finançait autant d’associations possible sans que sa propre situation devienne précaire. Allegra avait appris la patience, elle attendrait son heure. Un jour, elle améliorerait un peu plus ce monde.
 
« Avec du temps et de la patience, les feuilles de mûrier se transforment en robe de soie, murmura-t-elle en fermant les yeux.
—Ca veut dire quoi mam’selle ? s’exclama une voix aigüe à côté d’elle.
—Que la patience et le temps construisent de belles choses, lui sourit-elle.
—Vous voulez construire quelque chose ?
—Bien sûr, toi aussi non ?
—Une vraie maison ! s’exclama-t-il en sautant, attirant un rire un peu triste hors des lèvres d’Allegra.
—Un jour, je suis sûre que tu arriveras à avoir une vraie maison. »
 
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Le soleil tapait toujours aussi fort le lendemain et Allegra expira une discrète exclamation de soulagement en entrant dans le bâtiment climatisé de Persona. Elle grimaça la seconde suivante au souvenir que cet air frais coûtait cher à la planète et soupira. Allier confort et responsabilité devenait de plus en plus compliqué avec le temps. Elle repoussa son masque sur sa tête, s’autorisant tout de même à savourer la fraîcheur sur son visage, et s’avança vers l’ascenseur. Les missions sous une telle chaleur devenaient compliquées. Non pour la première fois, elle bénit le designer de son costume. Certes il était bien plus moulant que ce qu’elle appréciait habituellement – toujours une question de confort – mais au moins il n’était pas trop chaud comparé à d’autres. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle ne cuisait pas dans sa combinaison de cuir.
 
Elle arriva enfin à l’étage qu’elle visait et quitta l’ascenseur avec un salut pour ceux qui avaient partagé son espace vital pendant quelques minutes. Allegra n’aimait pas beaucoup ces espaces confinés mouvants mais elle était un peu trop exténuée pour tenter une ascension de plus de trente étages à pied. Parfois elle le faisait, quand elle n’avait pas eu le temps de faire son footing matinal. C’était indispensable d’être en pleine forme physique quand on était un Super après tout, qu’on ait un pouvoir ou non ; malgré sa spécialité d’attaques de longue portée, Allegra avait plus d’une fois été obligée de lutter au corps-à-corps. Elle était à Persona depuis sept ans, un peu plus si on considérait les missions mineures qu’elle avait menées lorsqu’elle était encore à l’Académie, et honnêtement le self-defense qu’elle pratiquait depuis ses quatorze ans lui avait sauvé plusieurs fois la vie. Enfin… Lui avait évité les plus mauvais coups en tout cas ; elle ne risquait pas vraiment sa vie dans ses missions de Super malgré les combats réguliers. Cela lui avait malgré tout bien servi dans sa vie de tous les jours, Allegra Nase semblait bien plus délicate que Maestria et elle avait un jour dû casser le nez d’un gars qui avait tenté de la voler. Douce société qu’était la leur. La Super se dirigea vers les vestiaires pour se changer rapidement, grimaçant à qui mieux mieux en enlevant son costume poisseux de sueur. Elle avait pitié des ingénieurs qui devaient s’occuper des costumes parfois. Elle l’aurait bien lavé avant de le leur redonner mais vu la technologie qui le composait elle préférait ne pas trop l’approcher de son lave-linge.
 
Allegra enfila un très satisfaisant et surtout large tee-shirt sans daigner mettre quoique ce soit en dessous – elle transpirait trop pour mettre plus que le nécessaire – qu’elle rentra dans sa jupe en jean et enfila avec réluctance ses sandales. Qu’est-ce qu’elle donnerait pour marcher pieds nus après les bottes de son costume. Elle défit ses longues couettes, balança sa tête en avant pour secouer ses cheveux et savourer la liberté retrouvée de sa chevelure – honnêtement elle avait trop serré, les racines étaient douloureuses maintenant – et les rejeta en arrière d’un coup. Elle expira de satisfaction une seconde, juste le temps de saisir un élastique à son poignet pour se faire une queue de cheval. Autant elle adorait avoir les cheveux lâchés autant elle avait beaucoup trop chaud pour rester comme ça.
 
Elle jeta un coup d’œil dans le miroir, tira la langue à son reflet, brancha ses écouteurs à son téléphone, mit une oreillette, laissant pendre l’autre, et sortit des vestiaires au rythme de la chanson d’un groupe de gospel. Un rapide tour pour aller donner son costume et rapporter les principaux dommages qu’il a reçu – une simple formalité, vraiment, ils traquaient et trouvaient sans son aide de toute façon – puis retour à la maison. Et là, le bonheur à l’état pur : une douche. Allegra en aurait sautillé, si elle n’était pas aussi fatiguée. Et pourtant, malgré cette lourdeur dans chacun de ses membres, son maintien restait parfait, son sourire agréable, ses traits amicaux. Petite princesse parfaite qui se cache derrière un masque, même quand elle n’est plus Maestria. Elle le portait depuis si longtemps ce masque qu’elle ne le ressentait plus, ne savait même plus qui se cachait derrière. Mais cela n’avait pas d’importance pour l’instant – cela n’en avait jamais en vérité – parce qu’elle était satisfaite de celle qu’elle était.
 
« La vérité est cachée au fond du puit, chatonna-t-elle.
—Une nouvelle chanson Maestria ?
—Non, juste une phrase passagère, enfin… peut-être bien en fait. Je ne sais pas encore. Tiens, voilà mon costume.
—Des dégâts ?
—Une oreille a du mal à gérer le son extérieur, j’ai failli me crever un tympan, répondit-elle rieuse, mais je suis sûre que tu la répareras sans problème.
—T’inquiètes, elle sera comme neuve avant ta prochaine mission !
—Tu es le meilleur, sourit-elle tendrement. A bientôt ! »
 
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Allegra ferma la porte de son loft derrière elle et se déshabilla sur le chemin de la douche. Elle n’en pouvait plus. L’eau coula quelques minutes plus tard et elle savoura sa fraîcheur. L’eau n’était pas particulièrement froide, à peine moins que sa peau, juste assez pour qu’elle sente la différence mais cela suffisait. Elle expira un soupir de bien-être. C’était le paradis. La musique pop rock qui sortait de son enceinte rythmait ses pensées et elle se retrouva bientôt à chanter les paroles avec le groupe, s’autorisant à décompresser de son combat avec le Super-vilain qu’elle avait affrontée pendant la mission, à faire glisser les soucis du monde de ses épaules pour quelques minutes, à ne faire que ce qui lui plaisait et ne penser à rien d’autre que la musique qui retentissait entre ces murs et sa propre voix qui s’accordait avec eux dans une improvisation peut-être un peu lamentable mais amusante. C’était sa définition du bonheur.
 
Le soulagement quand elle put enfin se poser dans son canapé fut aussi très apprécié cela dit. La musique retentissait toujours entre les murs de l’appartement et Allegra s’autorisa une minute de repos. Assise sur son confortable canapé, la tête bien calée contre le dossier, les yeux fermés, l’esprit vagabond. C’était paisible. Elle serait bien restée ici jusqu’au sommeil complet. C’était déjà arrivé plus d’une fois qu’elle s’endorme sur son canapé jusqu’au milieu de la nuit où elle ne se réveillait que pour aller se traîner jusqu’à son lit. L’idée était tentante. Ce fut son estomac qui la fit changer d’avis en manifestant bruyamment son désaccord.
 
« Ah, oui. Manger, marmonna-t-elle avec une terrible envie d’ignorer son estomac pour rester sur son confortable canapé. »
 
Un autre grondement et la sensation d’un trou noir la poussa finalement à se lever, une expiration profonde quittant ses lèvres quand elle fit l’effort physique de se lever. Elle n’avait que vingt-quatre ans mais avait honnêtement l’impression d’en avoir bien trente de plus. Ses yeux toujours fermés, Allegra traversa son salon jusqu’à la cuisine et se laissa tomber sur une chaise pivotante. Un demi-tour, tirer sur la poignée, ouvrir les yeux, le frigo ouvert devant elle. Elle contempla un instant son frigo, la fatigue ralentissant la réflexion de son diner, la flemme de cuisiner quoique ce soit la tenaillant. Son regard tomba finalement sur une bouteille d’eau et elle ouvrit de grands yeux en se rappelant de quelque chose de plus urgent que manger. Ses plantes ! Il fallait absolument qu’elle les arrose avant qu’elle n’oublie. Elle mangerait la salade de pâtes de la veille après, elle n’avait pas la motivation pour faire quoique ce soit de plus.
 
Alors qu’elle parcourait son appartement avec sa bouteille d’eau à la main, Allegra se dit que vraiment elle adorait son loft. Spacieux, bien éclairé, avec une atmosphère industrielle qu’elle contrebalançait avec des plantes suspendues ou dans de jolis pots dans chaque pièce, il était l’idéal. Oh, au début ce n’était pas exactement l’histoire d’amour avec ce loft. Les parents d’Allegra avaient voulu déménager dès qu’elle avait été acceptée à Astrophel Academy mais n’avait rien trouvé qui convenait. Il avait fallu faire un choix. Finalement ils avaient acheté ce loft dans le centre-ville qu’ils louaient jusqu’à ce qu’elle décide de quitter la maison de ses grands-parents pour gagner un peu d’autonomie. Ce n’était pas donné, bien entendu, mais les Nase étaient plutôt aisés. Son père étant médecin et sa mère dentiste, ils gagnaient tous les deux très bien leur vie et pouvaient se permettre quelques largesses. C’était aussi ce qui lui avait permis de se consacrer au bénévolat plutôt que de chercher un travail quand elle avait commencé les études supérieures. Le loft était donc loué avant qu’elle ne l’occupe et ils n’avaient jamais vraiment pris le temps de faire des travaux pour l’optimiser. La première année avait été franchement désagréable. Et puis son père était venu la voir un jour pour elle ne savait plus quelle raison et avait décrété que ce n’était plus possible. L’intérieur du loft avait presque entièrement été refait pour convenir à la fois aux normes en vigueur mais surtout aux goûts d’Allegra. Venetia avait beaucoup aidé et cela l’avait d’ailleurs poussé vers des études d’architecte d’intérieur alors qu’elle hésitait toujours. Cela avait été amusant à faire, long et parfois épuisant mais amusant.
 
La musique retentissait toujours par les diverses enceintes connectées dont Allegra avait parsemé son appartement et elle chantait en rythme, esquissant parfois quelques pas de danse, renversant de l’eau partout – mais qu’importe ? – et riait seule de ses bêtises. Elle trébucha sur ses pieds, eut un instant de frayeur, réussit à ne pas trop renverser d’eau sans tomber, et soupira un rire fatigué. Parfois elle se fatiguait seule. Un haussement d’épaules, la carafe d’eau vide posée sur le plan de travail, et quelques gestes pour sortir sa salade de pâtes. Repas pour le moins frugal mais qui suffirait, elle se ferait un solide petit déjeuner le lendemain matin pour compenser. Se balançant toujours sur le rythme de la musique, Allegra chantonna d’autres paroles que celles de la chanson sur le même air, comme elle aimait bien le faire parce qu’elle aimait les proverbes qui reflétaient sa vie.
 
« Un cœur en joie est un filtre qui fait de l'or. »
 
Un jour elle faudrait qu’elle fasse une chanson avec tous les proverbes qu’elle utilisait.