La semaine qui avait suivi l’attentat avait été l’une des affreuses que Ronan ait jamais vécu.
C’était comme s’il avait vécu dans une boucle temporelle ; chaque jour était le même : il se réveillait avec d’horribles sueurs froides après un cauchemar dévastateur –entre le monstres aux longues griffes ou les explosions, il était servi– et passait la journée à boire jusqu’à s’en rendre malade, vomir ses tripes et plus encore, s’endormir exténué, physiquement mais surtout psychologiquement, et recommencer. Et ce toute la semaine.
Il avait manqué tout ce qui avait suivi ; le nettoyage de la tour d’Eden, les funérailles de ceux qui y avaient laissé la vie, les réunions d’extrême urgence et tout le reste. Mieux valait qu’il ne vienne pas car dans son état, il aurait causé plus de mal que de bien, et il se refusait d’être un poids, en plus de laisser les autres admirer le spectacle de sa déchéance.
C’était peut-être la semaine la plus éprouvante de sa vie depuis la mort de Daisy.

Après la ruine était venue la colère. Besoin d’extérioriser, de s’écorcher la peau et les muscles pour ne plus y penser ; l’endroit parfait était tout trouvé, et avec pour seul but en tête de se déchirer le corps en paix contre un sac de frappe, il avait trouvé le courage de prendre une douche, s’habiller, et sortir de chez lui pour se diriger pour la première fois depuis ce qui semblait des lustres en direction de la tour d’Eden.



Il n’avait pas compté les heures, ni les écorchures sur ses phalanges, ni les coups donnés rageusement contre le cuir épais des sacs de frappe ; de la musique à plein volume dans les oreilles pour s’abrutir la tête et le ventre vide de nourriture et d’alcool –le cœur et la tête vides aussi. À croire que Ronan ne trouvait la paix qu’en cognant sur quelque chose et en se faisant mal au passage.
Il n’avait pas entendu Maxence arriver dans la pièce mais ne s’en était pas étonné lorsqu’il l’eu remarqué ; c’était devenu une habitude entre eux de se retrouver dans les box d’entrainement pour se cogner dessus sans retenue en toute quiétude.
D’ordinaire c’était le plus âgé des deux qui menait la danse grâce à l’expérience et l’assurance qu’il avait. Mais cette fois, Ronan avait senti quelque chose de différent, comme éteint chez lui –pas la peine de se demander pourquoi.
Au bout d’un certain temps qu’il n’avait encore une fois pas évalué, il comprit que leur mascarade n’avait plus de sens pour aujourd’hui.

« Dis, fit-il d’une voix éraillée par l’effort qu’il venait de fournir, t’as rien à boire dans ton bureau ? J’aimerais bien me mettre une race là tout de suite. »

Ça n’avait jamais été le genre de Ronan, de faire dans la dentelle.

Après un rapide passage sous les douches du sous-sol pour éviter d’empester le reste de la tour, ils se rendirent au bureau personnel du PDG et profiter de sa collection personnelle de bouteilles hors de prix qui ne méritaient certainement pas de finir comme elles risquaient de finir ; bues en trois gorgées trop rapides pour être savourées.
Ils n’avaient pas eu le temps de se servir tout les deux qu’une voix familière retenti derrière la porte qui s’ouvrit sur une Antigone à l’air tout aussi éreinté qu’eux.

« J'interromps quelque chose ?
— Rien du tout, fit Ronan en haussant les sourcils tout en finissant de se servir, on vient de commencer. »

Maxence et lui échangèrent un regard et il fit comprendre tacitement à ce dernier que la présence de la jeune femme à leurs côté ne le dérangerait pas le moins du monde ; il n’était plus à ça près, mais de voyait mal l’inviter ou la refouler à la place du PDG.

Maxence invita Antigone à s’installer avec eux, et quand elle prit place à ses côtés, l’odeur fleurie de son parfum sembla envahir l’espace un instant avant de s’évanouir au fur et à mesure que son nez s’y habituait.

« Scotch ou bourbon ? Il y a que ça ici.
— J’m’en branle, fit Ronan d’un ton bourru en haussant les épaules. »

Tout ce que j’veux c’est m’mettre assez minable pour oublier les dernière semaines –voire les dernières années tiens.

« Cul sec, pigé ? J'ai pas élevé des perdants.
— À ta santé Phoenix, railla Ronan dans un rictus narquois en levant son verre avant d’en descendre le contenu d’une traite. »

L’alcool fort lui brûla la gorge, mais il avait tant l’habitude de cette douleur presque salvatrice qu’il n’esquissa pas la moindre grimace ; il se pencha même sur le bureau pour remplir à son tour les trois verres désormais vides –plus pour très longtemps.

« Comment ça avance ?
— J’sais pas, répondit le jeune homme sans lever les yeux vers elle, j’m’en fous. »

Ronan se foutait toujours de tout quand c’était trop dur d’en avoir quelque chose à faire.

« Tu crois pouvoir tenir le rythme, Princesse ? fit-il cynique en faisant glisser le shooter vers elle –l avait noté la grimace qu’elle avait tiré lors de sa première gorgée, et trouvait un amusement certain dans le fait de pouvoir la chambrer sur ce fait quand d’ordinaire c’était elle qui n’avait de cesse de l’emmerder. On doit pas boire comme ça par chez toi, non ? »

Il illustra ses propos vaseux d’une nouvelle démonstration de sa descente étonnante.

« Ça m’fout la gerbe de venir ici et de voir tout le monde avec une sale gueule de six pieds de long, maugréa-t-il en reposant son verre. Même vous les gars, sans offense. »

Même s’il ne voulait pas l’avouer, il avait trouvé à XTF et dans le regard de certains de ses collègues, une attention et une légèreté de vie qu’il pensait ne jamais avoir le droit d’approcher de nouveau –peut-être même qu’il commençait à y trouver une forme de rédemption, quelque chose auquel s’accrocher pour remonter la pente petit à petit.
Et ça aussi, on le lui avait prit.