Heureusement qu'il n'était pas en train de manger, autrement il était certain qu'il aurait manqué de s'étouffer au moment où la question indiscrète de Diana franchit ses lèvres pulpeuses.
C'est vrai qu'elle ne passait jamais pas quatre chemins, celle-là.

— Je... Il hésita, et avant que quelqu'un ne puisse s'immiscer dans leur conversation, lâcha rapidement : non, pas de copine. ❞

Il s'efforça quand même de garder la face -il n'allait pas non plus lui donner une raison supplémentaire de se foutre de sa gueule.

— À vrai dire j'ai pas vraiment cherché. ❞

Ça, et aussi parce qu'il ne lui semblait pas qu'il intéresse les gens de la sorte. Du moins jusque maintenant, personne ne s'était aventuré sur ce terrain-là avec lui -ou alors il était complètement aveugle.

— Et toi ? T'as trouvé quelqu'un qui pouvait supporter ton caractère de merde ? ❞

Il lui lança un sourire derrière son verre d'eau, pour lui assurer que c'était une pure plaisanterie malgré la part de vrai qui se cachait derrière sa petite pique. Après ça, Elros lui donna des nouvelles de sa chienne Maya, puisqu'il se rappelait qu'elle aimait particulièrement les animaux. Il lui raconta ce qu'il se passait dans la ville, et pourquoi il avait passé l'été sur les chantiers de reconstruction ; et quand le repas fut terminé, il profita du fait qu'il leur restait une vingtaine de minutes avant la reprise pour lui faire visiter les locaux du lycée.

— Ça va pas te faire bizarre d'être dans un lycée public après... bah tout ça ? ❞

La réponse de Diana eut pour effet de le surprendre, et il s'en voulut soudainement d'avoir eu autant d'à-priori sur sa vieille amie. Sa mère lui avait toujours dit de ne pas juger les gens sans les connaître, et même si la chose ne s'était jamais appliquée pour les Harrington-Levy, il commençait à se dire que finalement il ne les connaissait pas autant qu'il le pensait.

Il était trop jeune, pas assez impliqué pour chercher à comprendre toutes les différences qu'il y avait entre lui et eux. Mais avec le recul, il réalisait maintenant que tout n'était pas aussi évident que lorsqu'ils étaient plus petits.

C'était pour ça, peut-être, que même si elle restait la même Diana Harrington-Levy qu'il connaissait depuis aussi longtemps qu'il s'en souvienne, il avait le sentiment d'être face à une parfaite inconnue.
Ou pas tout à fait. Disons une autre personne.
Ses yeux par exemple, et tout ce qu'ils renvoyaient, n'avaient pas bougé d'un pouce.

— C'est cool. Je veux dire, vraiment. ❞

Il s'apprêtait à ajouter quelque chose mais oublia complètement à la seconde où la sonnerie retentit.

— Je... C'est par là bas. ❞

L'après-midi passa relativement vite, sans qu'Elros ne sache vraiment pourquoi -la présence de Diana qui, malgré le silence de son voisin, trouvait toujours quelque chose à dire ou faire pour le distraire. Une fois sortis du lycée, Elros s'arrêta devant l'arrêt de bus et se tourna vers Diana, les mains dans les poches.

— Tu as une carte de transports ou... ? ❞

Devant sa mine perplexe, il ne put s'empêcher de sourire -un peu nerveusement. Les réflexes qu'il avait n'étaient pas forcément ceux qu'elle avait, elle, alors il allait s'adapter.

— Ok, c'est pas grave. On va y aller à pieds, j'habite à une vingtaine de minutes. ❞

Il haussa les sourcils mais ne fit aucun commentaire, ne sachant pas quoi répondre à une telle attaque qui ne le touchait pas particulièrement -et qui avait sa part de vrai, comme toutes celles qu'il lui avait faites depuis qu'ils s'étaient retrouvés.

— Pff, t'es chiante. ❞

Elros ne put s'empêcher de flancher quand son bras s'enroula autour du sien -comme chaque fois qu'on lui imposait un contact physique sans le prévenir- mais ne la repoussa pas, et ils se mirent en route.

— T'es un peu difficile à oublier. Il se tourna vers elle tandis qu'elle levait la tête vers lui. Même pour un gamin comme Nolan qui a tendance à se souvenir seulement de ce qui l'arrange. ❞

Il songea qu'il n'allait sûrement jamais s'habituer à ses yeux vairons, parce qu'il se demandait toujours lequel il fallait regarder quand il s'adressait à elle.

— Je veux dire, il pense toujours qu'il va se marier avec toi. ❞

Contrairement à son frère aîne à son âge, Nolan était un garçon sensible qui savait reconnaître que Diana était une fille et pas seulement un compagnon de jeu qu'il voyait tous les étés.

Une fois arrivés au pied de l'appartement, Elros lâcha le bras de Diana pour ouvrir la porte et ne lui proposa pas de le reprendre une fois qu'il eut terminé. Ils prirent l'ascenseur jusqu'au sixième et traversa le couloir vers son appartement.

— On est rentrés ! annonça-t-il, par réflexe plus qu'autre chose. ❞

La voix de Naomiie résonna depuis la cuisine mais il n'entendit pas clairement ce qu'elle cherchait à leur dire. Il n'eut pas besoin de lui demander de répéter car elle finit par apparaître au bout du couloir, et sauta littéralement dans les bras de Diana en l'assaillant de questions, ignorant totalement son fils.

— Passe-moi ton sac je vais le mettre dans ma chambre. proposa-t-il à Diana. ❞

Elros ferma la porte derrière lui et, en sortant dans le couloir, manqua de heurter une masse qui s'avérait être son père. Ce dernier tenait son deuxième fils entre les jambes -aussi Elros supposa-t-il qu'ils étaient en train de chahuter avant qu'il n'arrive- et s'arrêta de le chatouiller au moment où son regard croisa celui de son grand garçon. Noah se redressa, et fronça immédiatement les sourcils.

— Putain t'as encore grandi ou je rêve ? ❞

— Papa ! plaida Elros en désignant Nólairë. ❞

Le petit garçon se mit à rire et mit les mains sur sa bouche l'air de dire qu'il gardera le secret, et c'est à ce moment que les deux figures féminines de la maison firent irruption au bout du couloir.

— Je t'ai entendu, Noah... ❞

Elle avait beau essayer d'avoir l'air contrariée, Naomiie ne pouvait pas s'empêcher de sourire devant le spectacle quotidien que lui offraient les trois hommes de sa vie. Noah laissa son fils courir dans les bras de sa maman et s'approcha à son tour.

— Mini-Judy, ça pour une surprise. ❞

Il posa une main sur le sommet de son crâne et lui ébouriffa les cheveux, arrachant une plainte à la jeune fille -ce qui eut pour effet de faire sourire Elros. Noah poussa tout le petit monde jusqu'au salon, tout en la bombardant de questions -t'as fait bon voyage ? ça te fait quel âge déjà ? -ah ouais t'as le même qu'El, j'avais oublié. elle a pas été trop relou ta mère ? putain j'aurais pas aimé être à la place des déménageurs- tandis qu'Elros taquinait son petit frère qui n'avait pas dit un mot depuis qu'il avait réalisé que Diana était là.


— Tu vas reprendre ta vie de star ou t'es juste là pour les études ? ❞

Elros essaya de se rappeler de la dernière fois où il avait reçu des nouvelles des Harrington-Levy, et réalisa qu'il ne s'était jamais réellement intéressé aux discussions que ses parents avaient pu avoir à ce sujet. Il savait vaguement qu'ils étaient une famille d'artistes, relativement célèbres si on en croyait les tabloïds, mais cela s'arrêtait là. Il se souvenait juste d'une fois, pendant laquelle Noah et Naomiie s'étaient inquiétés pour la santé de Diana, mais il ne saurait dire quel en était le motif précis.

— Ça a dû vous faire une bonne surprise de vous retrouver, c'est génial que vous soyiez dans la même classe. Naomiie leva les yeux vers Elros. On a complètement oublié de t'en parler mon chéri, j'espère que tu ne nous en veux pas. ❞

Elros s'installa à côté de Diana et haussa les épaules, détournant le regard pour éviter que sa mère ne perçoive la gêne dans ses yeux lorsqu'il se remémorait la petite scène qu'il avait fait en début de journée.

— Ouais, ça va. Je m'y attendais pas vraiment, c'est tout. ❞

Il lança un regard en biais à Diana, la suppliant silencieusement de ne rien dire de trop embarrassant devant ses parents -ou alors il en entendrait parler jusqu'à la fin de ses jours.

Il avait été naïf en pensant qu'elle allait le couvrir.
Diana avait toujours été une grosse balance, après tout.

Elros se planqua derrière son verre tandis que son visage prenait une couleur cramoisie, et ignora les rires de sa mère qui aurait certainement tout donné pour assister à cette petite scène innocente qui devait lui rappeler de très bons souvenirs liés aux étés qu'elle avait toujours su apprécier.

— Mouais, lâcha-t-il en faisant la moue. ❞

L'heure qui suivit passa rapidement. Diana était douée pour faire la conversation, surtout quand celle-ci tournait autour d'elle ; et le couple Nevenscheinder était réellement intéressé par tout ce que la jeune fille pouvait raconter, alors il ne fut pas difficile pour eux de faire comme si Elros n'était pas là. Il se contenta d'écouter Diana lui raconter tout ce qu'il ne savait pas encore sur elle, mais ne fit aucun commentaire.

Et quand la sonnerie de l'interphone retentit, tous se tournèrent vers l'entrée. Naomiie s'apprêtait à se lever quand son mari posa une main sur son épaule, lui intimant de ne pas s'embêter, et se leva pour ouvrir la porte à leurs invités.

Ils étaient tous grands, bruns, et vêtus en noir de la tête aux pieds, mais sans pour autant donner l'impression qu'ils assistaient à des funérailles. Judith et Matthew Harrington n'avaient pas pris une ride -elle avait cependant les cheveux plus courts que dans son souvenir, et lui avait une barbe qu'il ne portait pas deux ans auparavant. Jonah, en revanche, était méconnaissable. Naomiie fut la première à réagir.

— Bonsoir Judith, Matthew... Oh Jonah, tu as tellement grandi ! ❞

— Bonsoir. Naomiie. la salua Matthew. ❞

Il se pencha pour lui faire la bise, ce qui surprit Elros en premier temps, avant de se rappeler que les européens avaient des coutumes un peu différentes des leurs. Il s'approcha timidement de leurs invités, et pendant que Diana enlaçait son père, s'approcha de Judith sans vraiment savoir s'il fallait tendre la main ou la joue.