Deirdre est avant tout d'une loyauté inébranlable, ce qui est à la fois sa plus grande force mais aussi son talon d'Achille. Lorsqu'elle croit en quelque chose ou quelqu'un, elle est capable de suivre cette personne jusqu'au bout, quand bien même elle ne soit pas nécessairement en accord avec les méthodes utilisées. Elle a ses propres opinions, et sa franchise fait qu'elle les exprime sans mal, mais elle se contente de suivre si son avis n'est pas écouté à cause de cette fidélité. Sarcastique, caustique même, c'est une jeune femme qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, et fait beaucoup d'esprit. C'est une excellente écoutante, muette comme une tombe, mais son honnêteté ne convient pas à tout le monde. Bien qu'elle sache manier les mots si besoin est, Deirdre préfère une sémantique brute, directe, et parfois violente. Ceux qui la connaissent mal peuvent aisément se sentir vexés ou attaqués par la barmaid, alors qu'en réalité, elle est simplement brute de décoffrage. Elle a l'habitude de ne pas plaire aux gens, et se fiche royalement de cet état de fait.

Travailleuse acharnée et consciencieuse, elle s'applique dans tout ce qu'elle entreprend, au risque de subir des remarques comme « tu es trop sérieuse ». Et certes, en apparence, elle ressemble à la fille sage et sérieuse, dans la sphère privée, elle est plutôt du genre relâchée. Elle apprécie l'amusement, et parfois se satisfait du chaos ambiant, qui rend son train de vie moins monotone. Il lui arrive de regretter les moments passés chez son ancien sponsor, mais ses obligations auprès de sa petite sœur l'empêchent de retourner à cette vie. Deirdre, c'est aussi l'adepte du « qui aime bien châtie bien » : plus vous vous en prenez plein la figure, plus vous pouvez jauger de son appréciation pour vous. Il y a bien quelques personnes pour qui les choses sont légèrement différentes, cependant … En revanche, si elle ne vous aime pas, ce n'est plus de gentils tacles ni de petites farces qui vont vous être joués, oh que non. Bien qu'elle soit calme, posée et possède un certain degré de self-control, Deirdre sait être méchante. Cruelle même. Il lui suffit de penser à certains pans de son passé pour complètement détruire ce calme apparent pour devenir une extension de son pouvoir : un véritable avatar de la Terreur, un esprit de la Furie, qui ira sans hésiter jusqu'à s'en prendre violemment à son ennemi.

Introspectivement, la barmaid est une grande désabusée. Etiquetée par la société, principalement à cause de son pouvoir, et réaliste sur certaines de ses relations ainsi que sur sa situation familiale, elle a beaucoup perdu et été déçue. Il y a encore peu de choses ou de personnes en lesquelles elle croit, et c'est probablement ce qui la maintient hors de l'aigreur permanente et de l'abandon de tout espoir. Elle ne le montre pas, préférant afficher un masque stable, mais au fond d'elle-même, elle sait qu'elle est vulnérable. Elle sait que peu de choses la retiennent au-dessus des abysses de la fatalité. Elle est en conflit intérieur permanent entre sa loyauté, ses devoirs et ses envies. Au fond, et à sa manière, Deirdre se sent seule et désemparée face aux choix qu'elle a à faire, tous semblables à ses yeux à des dilemmes cornéliens, mais aussi face aux conséquences qu'impliquent son pouvoir.

Deirdre est la deuxième enfant d'une fratrie composée d'elle-même, de deux sœurs et d'un frère. Née à Cork en Irlande d'un père pharmacien, et d'une mère doctorante en biologie cellulaire, la cadette a toujours été la plus aventureuse. Petite, elle se prenait pour une exploratrice, au grand dam des animaux familiaux, souvent déguisés et traînés de force dans ses jeux où elle se créait du danger. Ainsi, Cat Sidhe, son chat préféré, devenait tantôt une panthère, tantôt un alligator. Parfois, c'étaient ses sœurs et son frère qu'elle prenait pour un méchant, voire un gentil quand c'était elle qui voulait jouer l'antagoniste. Vous l'aurez compris, son enfance fut normale et paisible. Cela perdura jusqu'à la naissance de la dernière de la famille huit ans après Deirdre, Niamh ( prononcé Niiv ), qui fut diagnostiquée comme porteuse de la maladie de Krabbe. Beaucoup de choses changèrent alors : toute la famille se mit à s'occuper d'elle à tour de rôle, soudés face à cette épreuve. C'est d'ailleurs cette année que la famille décida de déménager à Astrophel, à l'exception de l'aînée, Aoife ( prononcé iife ) alors âgée de dix-huit ans, sans pouvoir et désirant terminer ses études de droit. Le but principal de ce changement de vie était de bénéficier des meilleurs avantages concernant la médecine, dans l'espoir d'offrir une vie décente à Niamh. Brighid, leur mère, n'eut aucun mal à trouver un travail dans la recherche chez Persona, dans la branche des biotechnologies.

Deirdre eut un peu de mal à s'adapter à sa nouvelle réalité dans un premier temps. Il fallut qu'elle reprenne ses marques, qu'elle retrouve des enfants avec qui jouer en dehors de sa fratrie, et son fort accent irlandais lui valait quelques moqueries, ou une certaine curiosité amusée. Ses premières années là-bas oscillèrent donc entre bête de foire et fillette rigolote, un peu mascotte de la classe en somme. Elle s'était fait à l'idée et commençait à reconstruire ses relations, jusqu'à ce que son pouvoir n'apparaisse, à ses dix ans. Cela avait commencé comme un jeu, un camarade de classe lui avait lancé un défi, une bataille de regards : le premier à détourner les yeux de l'autre perdait et devait offrir à l'autre une barre chocolatée. Elle releva le défi, et plongea son regard dans celui de son adversaire. Quelques élèves s'étaient massés autour d'eux, encourageant chacun son poulain. Les secondes semblaient interminables, et Deirdre se sentait de plus en plus mal à l'aise. Et d'un seul coup, tous les enfants se mirent à hurler de terreur. Une multitude de visions passèrent dans l'esprit de la pauvre petite fille, assaillie par des clowns, des monstres, des scénarios où elle tombait dans le vide, où elle était seule, à des dizaines de mètres sous l'eau, seule, ou encore face à une foule hilare. Les instituteurs s'étaient dépêchés de venir, tout comme le reste des élèves, pour voir ce qu'il se passait. Deirdre était là, au milieu de cette foule, enveloppée d'un linceul noir, ses yeux brillants et rouges laissant s'échapper des larmes, recroquevillée sur elle-même. Ses pleurs étaient dissonants, vrillant les tympans de ceux encore proche d'elle, tétanisés par une peur irrationnelle propre à chacun. Les adultes s'étant organisés pour écarter les enfants, ils finirent par réussir à calmer la petite dont l'épuisement avait fait cesser la manifestation de son don. Une cassure s'était néanmoins créée ce jour-là, entre elle et les autres. Celle qui les faisait rire par son accent, ses idées de jeu, ses petites folies, celle qui était leur mascotte était devenue celle qui les terrorisait. On l'évitait, on la fuyait du regard. Ses parents furent immédiatement mis au courant, et avec le support inconditionnel de sa famille, ainsi que de quelques véritables amis qui, en dépit de ce qu'elle était capable de faire, avaient choisi de rester à ses côtés, elle put finir sa dernière année sans trop d'encombres, avant de devoir être inscrite à l'Astrophel Academy, comme l'exigeait la loi.

Pendant ce temps, Niamh commença à ressentir les premiers symptômes de sa maladie. La plus jeune sœur criait parfois sans raison apparente, elle vomissait régulièrement, et avait quelques difficultés à respirer. Ronan, leur père, avait fini par quitter son travail pour s'occuper d'elle, et de passer du temps avec Deirdre, encore craintive par-rapport à son pouvoir. Son caractère s'était brutalement modifié en conséquence, et la petite fille souriante, toujours prête pour s'amuser devint une coquille refermée, craintive, et repoussant inconsciemment les gens. Elle limitait même son sommeil, par peur de perdre le contrôle à nouveau, comme cela a pu arriver à quelques reprises, qu'elle avait pris soin de ne pas divulguer à qui que ce soit. Même sa famille finit par en pâtir. Des disputes éclatèrent parfois entre elle et ses parents ou ses sœurs et son frère. Eviter Aoife était simple, puisqu'elle était toujours en Irlande, mais s'isoler était difficile dans leur petite habitation. La première année de la cadette se passa difficilement. Elle ne socialisa pratiquement pas. La réputation d'avoir un pouvoir affreux et terrifiant lui collait à la peau, aussi, personne ne l'approcha réellement. Elle se laissait à l'écart, ruminant dans son coin, prête à accepter son sort. Elle savait comment Astrophel fonctionnait : les supers, personnes qu'elle adorait, qu'ils soient vilains ou héros, et se doutait où elle risquait d'atterrir avec un don comme le sien. C'est donc une première année sous le signe de la résignation qui se déroula lentement pour Deirdre. Elle s'essaya même à se comporter en méchante. Elle se mit à répondre aux adultes, à prendre un air défiant, et elle eut quelques heurts avec d'autres jeunes adolescents venus se moquer d'elle. Elle fut convoquée plusieurs fois pour avoir frappé ceux qui la provoquaient, ayant même cassé le nez de l'un d'entre eux. Quelques élèves, impressionnés, avaient tout de même tenté de fraterniser avec elle, avec plus ou moins de succès.

Ce n'est qu'à partir de sa deuxième année que les choses bougèrent énormément pour Deirdre. Une jeune fille avait fait son entrée à l'académie, et pas n'importe qui : la fille de Richard Carvel, PDG de l'un des sponsors de super-vilains d'Astrophel. Si les premières semaines, elle n'avait pas spécialement fait attention à elle, Deirdre finit par être confrontée directement à Moira. Cette rencontre eut un impact très important sur la façon de voir les choses de l'Irlandaise. Ce n'était pas le fait que ce soit une fille d'un magnat de la ville qui l'avait touchée, mais la personnalité de cette fille de moins d'un an sa cadette. Elle avait quelque chose qui avait naturellement attiré Deirdre vers elle. L'inverse était peut-être vrai également, qu'en savait-elle ? Ce n'était qu'une gamine de douze ans, après tout. L'origine de leur entrevue était toute simple : Moira avait entendu les rumeurs sur elle, et avait décidé de vérifier ça par elle-même, comme si c'était un défi. Puis, elles continuèrent de se voir, et de nouer un lien invisible. N'étant pas dans la même classe du fait de la différence d'âge, elles ne pouvaient pas passer trop de temps ensemble, mais il leur arrivait de faire certaines misères à d'autres, à chercher le conflit, ou parfois à partager d'autres choses plus sages. L'Irlandaise s'était jurée de rester aux côtés de Moira, quoi qu'il en coûte, car elle devait ce qu'elle appelle aujourd'hui sa rédemption à cette enfant turbulente, chaotique même. Un tourbillon de nouvelles sensations s'offraient à la cadette O'Feannagh, qui commençait à peine à se sentir à nouveau vivante.

Les années défilèrent, et la santé de Niamh se dégradait toujours plus. Subissant à présent une perte du tonus musculaire, il fallut l'opérer pour installer des implants sur une grande majorité de ses muscles pour qu'elle puisse se déplacer un minimum. De même, la malade perdait progressivement la vue et l'ouïe, et fut également équipée en conséquence. Le traitement devenant de plus en plus coûteux, Ronan fut forcé de reprendre son travail à plein temps. Niamh ayant gagné une certaine autonomie, il avait été convenu qu'une assistante spécialisée s'occupe d'elle la journée. Cetet décision fut un soulagement coupable pour Deirdre, qui pouvait davantage combler ses envies et tourner un peu le dos à ses obligations. Elle voulait améliorer sa maîtrise de son pouvoir et dédiait tout son être à cette tâche, ce qui lui valu de plus en plus de remarques et de heurts avec sa famille. A seize ans, Deirdre ne dialoguait pratiquement plus sur sa vie avec eux, bien que l'envie ne manquait pas. Elle se questionnait beaucoup, culpabilisait même de ressentir du plaisir à délaisser Niamh, à aimer le conflit, à fréquenter Moira et d'autres apprentis supers pas forcément très sages. Mais la plus grande question qu'elle se posait, c'était sur son orientation sexuelle. Comme toute adolescente, la question finit par se poser. Si les hommes l'indifféraient au plus haut point, elle s'était à plusieurs reprises rendue compte qu'elle regardait d'autres femmes, parfois avec des images plus ou moins innocentes dans l'esprit. Sa proximité/distance avec Moira n'aidant pas, ce fut pour elle une année étrange, où elle apprit à se découvrir petit à petit, dans le plus grand des secrets.

Sa majorité atteinte, et jugée suffisamment compétente, Deirdre suivit celle envers qui sa loyauté était acquise chez Carvel&Son. Cet engagement créa une cassure chez les O'Feannagh, entre Aoife et sa cadette. L'aînée, devenue procureure, ne cautionnait pas qu'elle puisse se comporter en méchante, qu'elle ternisse l'image de la famille à cause de sa lubie pour le chaos ambiant, et surtout de faire du tort à leur mère, toujours en poste chez Persona. Brighid et Ronan ne savaient plus comment gérer l'électron libre familial. Même Desmond, son frère, qui d'habitude réussissait à la canaliser un minimum, n'y arrivait plus. C'est comme si elle s'était détournée des siens, à l'exception de Niamh. Ses questionnements l'avaient tant tourmentée qu'elle avait fini par s'occuper à nouveau de sa petite sœur, dès qu'elle le pouvait. Elle avait dix ans maintenant, mais toujours aucun signe de pouvoir. A croire que Deirdre était la seule à en posséder un, dans cette fratrie … C'était peut-être pour cela, aussi, qu'elle se sentait à part, seule, au fond d'elle-même. Qu'elle se sentait coupable d'être la bête noire. Qu'elle causait du tort à ses parents. Et à chaque instant de doute, l'image de la cause qu'elle avait choisi revenait lui rappeler ses choix, ses envies, afin de la torturer encore davantage. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ? L'hémorragie familiale semblait ne jamais s'arrêter, et cela lui faisait mal. Et puisque cela lui faisait mal, elle ignorait la réalité, et se replongeait systématiquement dans ses déviances. Elle fuyait ses responsabilités et refusait de voir la vérité en face. Mais un jour, elle fut forcée d'arrêter de fuir.

C'est lors d'un combat organisé particulièrement spectaculaire que le dernier acte de son drame familial eut lieu. Six héros contre six vilains, dont elle fit partie, en pleine après-midi, dans la partie commerciale d'Astrophel. Des explosions, parce que la foule adorait ça. Mais l'une d'entre n'était pas censée être au programme. Un souffle puissant avait fait s'écrouler un bâtiment. On apprit qu'il y avait eu trois morts. Un bilan qui aurait pu être beaucoup plus lourd si un jeune adolescent n'avait pas utilisé son pouvoir de champ de force pour bloquer une partie des débris. Ce garçon fut identifié comme étant Desmond O'Feannagh. Alors Deirdre fut frappée d'incompréhension. D'abord, le déni. Son frère n'avait pas de pouvoir, ça ne pouvait être qu'un homonyme … Puis, la culpabilité. Voilà le résultat de ses choix de vie. Elle, qui n'avait au final fait que du tort à sa famille, venait de pratiquement la perdre intégralement. Puis vint la colère, contre elle-même, contre les responsables de l'attentat, contre Aoife qui l'avait appelée et lui avait clairement fait comprendre que la prochaine fois qu'elles se reverraient, l'une d'entre elles n'en ressortirait pas indemne. Même contre Niamh, à cause de qui leur famille avait déménagé. A sa suite arriva une période plus courte qu'escomptée de dépression. Son échappatoire, c'était les combats organisés. Finalement, l'acceptation, salvatrice, survint six mois plus tard, avec l'aide de ses quelques proches. Décidée à devenir responsable vis-à-vis de la pauvre Niamh, complètement dévastée, Deirdre fit son possible pour conjuguer toutes les facettes de sa vie, bien que son équilibre émotionnel soit encore relativement instable. Les choses furent facilitées lorsque Moira décida de mettre en scène sa disparition, pour des raisons personnelles. Ce fut également la dernière fois que Phobos, son nom de super-vilain, monta sur scène. L'Irlandaise se reconvertit en barmaid, afin de pouvoir continuer à subvenir aux besoins de sa sœur et aux siens.

Aujourd'hui, il lui arrive de regretter les combats. Certaines personnes la reconnaissent encore à son travail, mais petit à petit, son nom sombre inexorablement dans l'anonymat, avec l'affluence constante de nouveaux supers. Mais elle sait qu'un jour, elle devra reprendre du service.

Ainsi, Phobos attend patiemment son heure, dans les tréfonds de la mémoire collective, et de l'impatience coupable de Deirdre.