Les rideaux filtraient à peine les rayons de soleil quand ils virent caresser le visage endormi de Sansa. Telle une fleur embrassée par le premier faisceau de lumière, elle se mit en mouvement et se retourna lascivement sur les draps blancs qui couvraient à peine son corps nu.

Lentement, elle ouvrit les yeux. Un certain temps fut nécessaire pour qu'elle s'habitue à la luminosité qui envahissait progressivement la pièce, dont les murs d'un blanc éclatant lui étaient très familiers.
Pourtant, elle n'était pas dans la chambre d'ami d'Olivia.

Son cœur rata un battement lorsque son esprit encore embrumé reconnut enfin l'endroit dans lequel elle se trouvait.

« Drew ? appela-t-elle, presque à l'aide. »

Elle se pencha au-dessus du lit et tendit le bras pour ramasser ses vêtements éparpillés sur le sol. Mais elle se ravisa de les remettre en constatant l'odeur de fumée et la terre dont ils étaient maculés. Les images de la veille martelaient à l'entrée de son esprit, essayant tant bien que mal à revenir tandis que sa conscience les forçait à rester à leur place le temps qu'elle remette de l'ordre dans ses idées.

Sansa se rappelait de leur baiser. De ses larmes et ses multiples excuses. Elle se rappelait d'avoir voulu partir mais de ne pas en être capable – ou était-ce l'inverse ? Elle se rappelait d'avoir supplié Drew – de la laisser partir, ou au contraire de ne pas l'abandonner ? Puis elle se rappelait des frissons dans le creux du ventre, les papillons et les vêtements qui tombaient un à un avant qu'ils ne finissent par s'épuiser entre les couvertures.

Le rouge lui monta aux joues, et elle porta une main à sa bouche pour étouffer une plainte.

Elle secoua frénétiquement la tête et sortit du lit. Par habitude, et parce que rien dans l'appartement n'avait rien changé, elle voulut ouvrir les placards mais se ravisa. Au lieu de cela, elle trouva sur le fauteuil un t-shirt plié. Elle sentit son coeur rater un bon en réalisant qu'il était pour elle, car il l'avait posé à l'exact endroit sur lequel elle jetait ses propres vêtements à l'époque où elle habitait cet appartement.

Sansa l'enfila avant de prendre la même inspiration qu'elle prenait avant chaque opération.
Puis ouvrit la porte.

Rien n'avait changé.
Pas un meuble, un tableau ni même une plante en pot. Tout était identique à son souvenir ; si bien qu'elle se demandait si elle n'avait pas rêvé les deux dernières années.

Naturellement, ses pas la guidèrent vers la cuisine. L'odeur de la bergamote et du thé noir qui embaumait la pièce ne la trompèrent pas.

« Bonjour, Drew. »

Il était là, baignant dans la lumière du matin, de la même façon qu'elle l'avait déjà vu au moins un millier de fois. La pensée lui fit monter un sanglot qui mourut au creux de sa poitrine. Elle resta dans l'encadrement de la porte, sans savoir si elle était en droit d'entrer.

« Tu as bien dormi ? »

Sansa se glissa dans la cuisine, emportée par une sorte d'habitude bien qu'elle ne soit pas légitime de le faire. Elle ne manqua pas de remarquer tous les détails – la quiétude sur le visage de Drew, le morceau de sucre des jours difficiles qui trônait à côté de la tasse encore brûlante.

« Non non, tu as bien fait. Merci. »

Elle avait toujours aimé la bienveillance de Drew, toujours empreinte du respect profond qu'il avait pour elle. Et malgré la pointe de culpabilité qui la piqua l'arrière du crâne à l'évocation de l'hôpital et des blessés qu'elle faisait attendre, Sansa estima comme Drew qu'il était nécessaire de prendre le temps.

Le temps qu'ils avaient perdu. Le temps qu'il manquait.

Où en sommes-nous, Sansa ?
C'est vrai. Où en étaient-ils ?

« On prend le thé dans la cuisine. »

Elle se mit à rire, cachée derrière la tasse encore trop chaude pour se laisser tenter par le breuvage. Puis elle baissa les mains, et leva les yeux pour rencontrer ceux de Drew.

« Dans un entre deux, j'imagine. »

La situation n'avait jamais été aussi confuse. Tout avait toujours été très clair entre eux, depuis qu'il avait été son patient jusqu'à ce qu'elle réalise qu'elle le voulait lui et personne d'autre. Rien n'avait changé depuis, même lorsqu'elle l'avait quitté.

« C'est drôle. Elle parcourut la pièce des yeux. C'est comme si je n'étais jamais partie. »

Mais elle l'avait fait.
Elle leur avait brisé le cœur et elle était revenue, sans savoir pourquoi elle ne pouvait prendre la fuite alors qu'ils se porteraient mieux si ses convictions étaient plus fortes.

« J'ai beaucoup pleuré, hier soir ? Je ne voulais pas t'imposer ça, pardonne-moi. »

Elle se rappelait avoir versé des larmes dans l'église. Elle se rappelait aussi des bras réconfortants de Drew qui, alors que rien ne l'y avait obligé, était resté avec elle. Il l'avait bercée pendant qu'elle se battait avec elle-même, entre ce qu'il fallait et ce qu'elle voulait.
Elle avait presque pitié d'elle-même, maintenant.

« Est-ce qu'il est déjà trop tard, Drew ? »

Je t'aime, Sansa.

Drew était un professionnel. Il allait droit au but et tirait directement dans le cœur.

Et je n'ai jamais cessé de le faire.

Sans chercher à lui faire du mal, pourtant. Les mots avaient simplement eu pour effet de lui réchauffer le coeur, directement depuis l'intérieur. Et ce n'était pas qu'elle ne savait pas – elle n'était pas dupe, elle refusait simplement de l'admettre. La fine carapace de déni, celle que Sansa s'était forgée pour se protéger, n'avait plus d'utilité lorsqu'il la regardait comme ça.

« Je... Elle hésita. C'était vrai. Serait-elle partie ? J'aurais aimé que ce soit toi qui me l'apprennes. »

Dans un flash macabre, les bribes des images qu'elle avait reçues dans une enveloppe à son nom lui revinrent en tête. Elle en avait vomi, plus tard dans la soirée, comme si cela allait effacer ce qu'elle avait vu.

« Mais je comprends pourquoi tu ne l'as pas fait. »

Comment aurait-il pu ?

« J'espère que toi aussi, tu comprends pourquoi je suis partie. »

De quoi l'avait-elle rendu coupable, à cette époque ? Elle y avait pensé, longuement, et elle aurait dû se douter. Elle pensait le connaître et avait découvert à ses dépends une facette de son aimé qu'elle avait refusé de voir et pourtant, il se trouvait devant ses yeux depuis le début.

« Je crois qu'à ce moment, je n'avais simplement pas les épaules pour supporter cette révélation. Aujourd'hui, c'est différent. Je ne veux pas que tu portes ton fardeau tout seul, peu importe à quel point il est lourd. »

Du bout des doigts, elle alla chercher les siens et les ramena au niveau de sa poitrine, déposant un baiser léger sur ses phalanges.

« Je n'ai jamais pensé que tu étais un monstre, murmura-t-elle. »

Elle n'avait jamais eu l'occasion de le lui dire, et la réalisation lui fit l'effet d'une claque. À quel point l'avait-elle torturé par son silence ?

« Je t'aime encore. Elle rit. Je t'aimerai toujours. »

Inconditionnellement.

Sansa n'avait pas envisagé l'idée de revenir. Ainsi elle n'avait pas imaginé qu'il puisse accepter son retour malgré le mal que lui avait causé son départ. Et s'il ne l'avait pas fait, elle ne s'en serait jamais remise. Elle aurait accepté, mais le regret resterait à jamais.

Mais elle n'eut rien à faire de tout ça.

Elle avait simplement souri contre ses lèvres comme elle l'avait si souvent fait, tant elle se sentait bien dans ses bras. Le temps d'un baiser, il avait fait s'envoler les quelques réticences, les doutes qui l'avaient traversée.

« Je ferai toujours ce que j'ai à faire. Ça ne changera pas. Elle frissonna au contact de ses doigts dans son dos. Et je n'ai jamais voulu t'infliger ça.

— Il va le falloir, désormais. »

Sansa avait froncé les sourcils, se donnant un air grave faussé par le sourire qui commençait à étirer ses lèvres. Ses mains allèrent chercher le contact avec son visage, pour le ramener à nouveau vers elle et l'embrasser à son tour maintenant qu'elle en avait récupéré le droit.

« Je t'aime, Drew. »

Ces quatre mots ne servaient que de fondations à leur relation. Ils avaient encore tant à reconstruire, et devaient se préparer à de longues discussions qui ne se termineraient pas toutes sur un terrain d'entente. Sansa n'était pas naïve au point de croire qu'il changerait pour elle. Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait – loin de là.

À contrecœur, elle se détacha de son étreinte pour récupérer sa tasse de thé, et s'appuya sur le comptoir à ses côtés. Elle aurait sincèrement aimé rester dans la bulle de quiétude qui régnait dans l'intimité de leur – la – cuisine. Mais elle avait appris à ses dépens que certaines choses devaient prendre fin pour permettre aux autres de se développer.

« Je dois repasser chez ma sœur avant d'aller travailler. »

Sansa leva les yeux vers Drew, prenant le temps de contempler une fois encore ce visage qui avait toujours suscité en elle une admiration semblable à celle que provoquaient les statues en marbre exposées dans les musées antiques.

« Peut-on dîner ensemble ce soir ? »

Elle fit mine de réfléchir, avec un enthousiasme encore suspendu à ses lèvres. Sansa avait toujours été très friande de sorties, rester dans le confort de son appartement n'était jamais l'option qu'elle préférait.

« J'adore ce restaurant. Donnons nous rendez-vous pour... disons, neuf heures ? »

Elle avait un peu de retard à rattraper, et doutait de pouvoir sortir de l'hôpital avant la première garde de nuit. L'appartement d'Olivia n'était pas bien éloigné de celui de Drew, mais elle avait déjà presque une heure de retard et savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas partir avant d'avoir fait toutes ses heures.

Sansa finit sa tasse avant de s'éclipser et récupérer ses affaires dans la chambre. Elle enfila son pantalon de la veille dans lequel elle rentra le t-shirt de Drew, et remit de l'ordre dans ses cheveux après s'être nettoyé le visage. Elle prendrait une douche en passant chez Liv, cela lui ferait gagner du temps.

Naturellement, il l'attendait dans le salon.

« Je n'ai pas changé de numéro, déclara-t-elle enfilant ses chaussures. Si tu as besoin de quoi que ce soit, je serai à l'hôpital toute la journée de toute façon. »

Elle se mit sur la pointe des pieds pour lui voler un dernier baiser, et quitta l'appartement sans un regard en arrière.



La journée avait été rude, mais Sansa avait été efficace. Comme si les événements de la journée et ceux de la veille avaient provoqué en elle un regain d'énergie et de motivation. Bien sûr, on l'avait taquinée sur les bienfaits d'un peu de retard – personne n'avait jamais été aussi efficace depuis le début des opérations – mais elle n'en avait pas tenu rigueur.

Elle avait même terminé un peu après vingt heures, et s'était ainsi laissé le temps de rentrer chez Olivia – qui s'était volatilisée à l'autre bout de la ville si on elle en croyait le mot qu'elle avait laissé derrière elle – pour faire un brin de toilette et s'apprêter.

Sansa avait toujours pris plaisir à se faire belle. Ainsi, elle était entrée dans le restaurant avec une dizaine de minutes d'avance, impeccable dans une robe à fleur aux épaules dénudées. Ses cheveux, légèrement ondulés au fer, encadraient son visage très légèrement illuminé de blush.

« J'ai une réservation au nom de Connor, informa-t-elle le serveur. »

Déjà à cette heure, le restaurant était presque rempli. Il la conduisit à sa table et lui proposa un verre de vin pour patienter, qu'elle déclina poliment puisqu'elle savait que son compagnon allait bientôt se montrer.

Avec un sourire un peu ému, elle observait silencieusement la salle en se remémorant tous les bons souvenirs qu'elle en gardait.