Alexandre, comme un de ses surnoms l’indique, est une vraie tête de mule qu’il est impossible de sortir de son droit chemin. Un chemin qu’il n’a d’ailleurs jamais subi et a toujours bien vécu au cours de sa vie, voici ses dix commandements :

1. D’autre religion, tu n’auras point. Chaque esprit est adapté, et en étant adapté il est inutile d’en posséder un autre.
2. En vain, mon nom tu ne prendras point. Une adaptation est une erreur, et une erreur en mon nom est une source d’hérésie.
3. À distance, tu ne couperas point. Une lame lancée entraîne la coupure, et la coupure est une source d’hérésie.
4. La foi, tu garderas. La foi est un carburant, et un esprit moteur ne saurait fonctionner sans carburant.
5. Égoïstement, tu ne fuiras point. Une lame est un outil, et un outil ne se préserve pas pour son propre intérêt.
6. La mort, tu n’embrasseras point. La mort est une victoire de l’hérésie, et l’hérésie ne doit pas vaincre.
7. Les innocents, tu protégeras. Une lame est une arme, et une arme défend ceux qui ne peuvent se défendre.
8. L’hérésie, tu chasseras. L’hérésie est une corruption, et la corruption mène à la décadence de l’esprit.
9. Les hérétiques repentants, tu purifieras. Un hérétique repenti ne l’est plus complètement, et chaque parcelle d’hérésie perdue est une parcelle de pureté gagnée.
10. L’humanité, tu honoreras. L’humanité est l’origine du bien être de chacun, et la déshonorer est une source d’hérésie.

Son pouvoir a donc un effet non négligeable sur sa psyché, au point de ne pouvoir changer une seule virgule de ces principes. Ainsi, certes cela le rend insensible aux manipulations (par pouvoir ou non) allant à leur encontre, mais il en devient psychorigide à l’extrême lorsqu’il faudrait les remettre en question, ce qui en fait un atout autant qu’un défaut. De plus c’est, ce facteur pris en compte, un excellent allié pour peu que vous respectez ces commandements. Cela dit, c’est un jeune adulte très sociable et aimable, il est rare pour lui de se faire des ennemis qui ne sont pas hérétiques. En parlant d’hérésie, sa définition a beaucoup changé avec le temps depuis qu’il a appris à parler, mais aujourd’hui elle semble fixée sur les lois. Même si en rencontrant divers mercenaires sur le terrain au sein de l’académie, une tendance à dévier vers une définition plus large et moins fixe, bannir la nuisance pour la prospérité de l’espèce humaine, est née. Ce qui fait que les mercenaires seront écoutés suivant la gravité de leurs péchés contrairement aux super-vilains qui seront automatiquement chassés sans préavis. D’ailleurs, sa psyché étant le résultat permanent de l’effet progressif du pouvoir sur celle-ci durant toute sa vie, même si on l’inhibe, elle ne changera pas car elle en est imprégnée.

Ensuite, plus largement, il transpire la chevalerie : entre son sang chaud et sa réflexion limitée, ce n’est absolument pas le genre à penser des stratégies complètement farfelues, par contre sa passion et sa volonté frôle le fanatisme. C’est davantage un tas de muscles qu’un tas de cervelle, même si son instinct et ses réflexes lui permettent de se débrouiller avec brio en situation de stress, le genre donc qu’on enverra en première ligne car sa main ne tremblera pas face à l’ennemi. Montrez que vous en avez dans le ventre et il vous fera preuve de respect, c’est d’ailleurs à ça qu’il reconnaît les bonnes relations des mauvaises : plus son respect est élevé, mieux il se portera en votre présence. La romance n’est pas son fort, il en est même extrêmement maladroit sorti du contexte guerrier, mais il lui est tout à fait possible de vouloir « protéger quelqu’un pour une durée indéterminée ».

Ce sont en ces terres sombres d’Astrophel que je suis né, il y a dix-neuf ans. Pourquoi sombres me direz-vous, et bien parce que même si nous y nageons dans un flot ininterrompu de lumière, celles-ci n’éclairent pas ce que nous voulons savoir. Au contraire, tout ce que nous pouvons savoir de ces lumières c’est que leurs spots sont crasseux, mais peu de gens peuvent éclairer davantage qu’eux et nous montrer ce que nous voulons savoir. Et quand bien même, il est bien plus simple de regarder son ombre projetée par une lumière que d’en regarder sa source, peu d’yeux peuvent le supporter. Entre les entreprises sponsors de supers, les chaînes télévisées héroïques, les émissions de télé-réalité et le terrorisme, selon mes parents tout ça est arrivé contre la volonté du fondateur de la ville qui souhaitait bâtir un havre de paix pour les dotés, la raison pour laquelle ils avaient emménagé ici, étant tous les deux concernés.

Et ce n’est qu’après quelques temps d’habitation à Astropel que je viens donc au monde, avec des frais conséquents qu’ils n’avaient absolument pas prévu avant ma naissance, comme les séances chez les divers psychologues que j’ai pu rencontrer. Ma manière de penser était si fanatique, incompréhensible, que tous ont échoué jusqu’à ce qu’un jour on me donne une paire de ciseaux à bouts ronds en cours d’arts plastiques, en primaire. À ce moment-là, j’essaie une première fois de découper ma feuille de couleur : rien, elle plie et passe entre les lames mais rien ne se passe. J’essaie une deuxième fois avec plus de force : même résultat, à la différence près qu’elle semble fuir les ciseaux de quelques centimètres. Là je perds patience et je vais jusqu’à me rougir les doigts : la feuille se retrouve propulsée à travers la pièce, tel un avion de papier, et part droit et plat vers la maîtresse. Cette même maîtresse qui, à cette époque, a pour seule prérogative à mon égard d’éviter que je fasse des bêtises avec les ciseaux et autres objets coupants que j’ai toujours regardés avec une admiration presque inquiétante. Inutile de vous dire l’expression de surprise se composer microseconde par microseconde au fur et à mesure que la feuille approche son visage, avant de s’y étaler tel un journal propulsé par le vent en y faisant un petit trou pour son nez pointu. C’est la seule fois où j’ai pu remarquer que le visage d’une personne a ce potentiel incroyable d’avoir un teint aussi rouge qu’une feuille Canson de la même couleur, son nez presque camouflé mais sa colère qui en a suivi l’étant moins, tout comme pour les rires de mes camarades. Étant placé à l’autre bout de la classe, il est devenu évident qu’un pouvoir vient de faire son œuvre.

Un rapport et quelques discussions entre adultes plus tard, du moins si l’on peut appeler une énonciation de lois suivi d’un ordre de transfert une discussion, on me transfère donc à l’académie pour y suivre ma scolarité et éviter que je détruise quelques bureaux à la simple utilisation de ciseaux. Au départ c’est sur ces fameux ciseaux que je base ma religion, n’ayant pas encore eu l’occasion d’utiliser des couteaux. Mais il ne faut pas quelques années avant que je casse mon assiette en deux en voulant couper un bon steak pourtant associé à un accompagnement exquis de spaghetti. La viande a pris un peu cher je l’avoue, et le jus giclant sur toute la table mon père aurait aimé l’option essuie-glace sur ses lunettes, alors que ma mère n’a juste eu qu’à se débarbouiller et retirer mon arme de destruction massive des mains la peur aux yeux. Pas celle qui ferait oublier que c’est son fils face à elle, mais plutôt celle de l’incompréhension totale. C’est donc depuis ce moment que des ciseaux je finis aux lames au sens large, et enfin, le psychologue arrive à déterminer ce qui ne tourne pas rond dans ce pouvoir :

« Vous voyez, en règle générale les pouvoirs n’ont pas d’effet particulier sur la psyché de leur possesseur, du moins pas directement. Cependant votre fils fait partie de ceux dont le pouvoir effectivement atteint sa manière de penser, et ce de manière complètement incontrôlée apparemment. Dans ces conditions je recommanderais l’inhibition médicale du pouvoir, mais je doute que cela apporte des résultats. De plus nous risquons de le rendre dépendant à sa consommation si jamais par miracle sa psyché arrive à sortir de cette « religion », et il serait dangereux qu’il se pense être consumé par cette « hérésie », au vu de sa réaction vis-à-vis de ses camarades de classe qu’il appelle « hérétiques ». Cependant, quitte à ne pas consommer de médicaments anti-pouvoir, on peut toujours l’interner en psychiatrie jusqu’à trouver une solution pour le rendre moins… manichéen. »

Malheureusement pour mes parents qui ne pouvaient refuser un tel constat et risquer de perdre complètement ma garde, j’ai donc dû séjourner quelques années de mon enfance dans un hôpital psychiatrique. Des années extrêmement dures loin de mes parents… Même si j’ai pu garder mon activité favorite, le combat médiéval, plusieurs choses ont changé avec cet internement.
Déjà première chose : pendant quelques mois on a commencé le traitement par un éloignement complet de toute lame de ma vue, afin de savoir ma dépendance à celles-ci. Au début, tout ce qui a semblé conçu pour couper, puis le directeur n’en pouvant plus que je tombe en extase devant son stylo à plume de bureau ou encore les coins des murs, cette thérapie s’est avérée inefficace et l’avons abandonnée, les couteaux restant interdits sauf lors des cours de maîtrise de pouvoir, bien évidemment.
Deuxième chose : en parlant de cours de maîtrise de pouvoir, ça m’a davantage semblé être des expériences que des moments où j’apprends à ne pas casser une table avec un pauvre couteau. Encore devoir vivre assisté ou manger des petits aliments parce qu’on peut pas couper ses plats, je dis pas, mais ne pas me permettre de comprendre ce pour quoi je fais ces exercices… J’ai donc dû apprendre de moi-même et développer un sens de l’observation sans faille, sinon je ne sais pas combien j’aurais tenu sans finir par refuser de participer à ces expériences. Je hais agir sans savoir pourquoi, mais sortir retrouver mes parents aura été ma priorité tout au long de cette période.
Et nous arrivons donc à la troisième chose : les séances avec le psychologue de l’hôpital m’auront été d’une très grande aide. Autant sur comment je dois traiter les hérétiques qui peuvent vouloir se repentir sans que je le sache, que sur l’hérésie en général. De ce que j’ai compris il y a pas les bons d’un côté et les hérétiques de l’autre, mais plutôt un continuum d’hérésie présent en chacun de nous. « Un continuum qui peut être réduit et n’atteint un point de non-retour que pour les hors-la-loi et autres super-vilains », comme m’a dit un jour son homologue qui travaille chez une entreprise sponsor. Il m’a dit que quand je sortirai et me sentirai prêt, peut être qu’un jour les super-héros auront besoin de moi, ajoutant que des attaques terroristes ayant frappé Astrophel, il ne faudrait pas tarder.

Déjà déterminé, l’arrivée de Mist sous les projecteurs suite aux attaques à la bombe chez Persona puis la tour d’XTrem Factory ayant entraîné la mort d’un membre important enfoncent le clou. Il faut à peine quelques semaines après ces évènements pour que je sorte de l’hôpital et aille travailler chez Persona en tant que héros suppléant en parallèle de mes études héroïques. Plus tard, les rumeurs sur des trafics d’êtres humains et de manipulation de pouvoir, mêlée à la potentielle épidémie de perte de pouvoirs, me font me reposer quelques questions auprès du professeur de combat lors des exercices. Étant elle-même mon modèle en terme de combativité, il semblerait que mon intérêt pour l’art martial médiéval ait suscité l’attention de celle-ci, la fameuse Madame Cree, très connue pour ses cours extrêmement durs. Mais grâce à cet intérêt, j’ai pu avoir des cours supplémentaires avec elle et apprendre à me défendre avec seulement un couteau, tandis qu’elle en apprenait peu à peu de ma part sur le combat à l’épée et armure.
Du côté de chez Persona, j’ai pu m’habituer de l’environnement très futuriste et curieux de l’entreprise, mais je dois avouer que je ne me suis toujours pas fait à ces « combats scénarisés ». J’ai notamment de gros soucis à laisser partir les super-vilains mais il paraît que c’est le mieux à faire pour les prochaines fois (je dois avouer que leur notion de stratégie me dépasse), donc en général dans ces moments c’est celui qui m’accompagne qui m’arrête, mais je me fais constamment taper sur les doigts. Il semblerait qu’un projet de duo a été lancé pour « effrayer les hérétiques » comme aime dire le chargé de mon dossier, « le genre duo nommé par les dieux » paraît-il. Je me demande bien ce qu’ils prévoient, je connais bien un ange dans l’entreprise mais si ça se trouve je peux me tromper.
En attendant, je dois continuer mes études héroïques si je veux que ce duo soit efficace, en espérant qu’Honoka ne me tape pas encore une fois sur les nerfs pour rire sur mes principes. Encore il y en a que je peux supporter, mais son manque de respect total nous a déjà valu plusieurs accrocs et remises à pied. Je n’irais pas jusqu’à penser que c’est une hérétique irrécupérable, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi elle en est si proche sans pour autant justement y basculer. Aurais-je encore tort sur ma définition de l’hérésie ou est-ce une épreuve de ma foi ?