▬ C’était..C’était flou. Et vivide. À Scitlali y a tellement de barbarie, si tu veux vivre tu dois t’battre. J’devrais m’en souvenir clairement mais j’ai du mal des fois. On savait qu’on pouvait mourir à tout moments mais que si on vivait trop longtemps ça servait pas à grand chose.

Meera déglutit avec difficulté en s’imaginant la vie d’Ange dans les quartiers les plus dangereux de la ville. Si elle savait ce que c’était de vivre sans vraiment être reconnu, ni même vu des autres, des grands, des riches, des chanceux, et qu’elle était plus que consciente que la vie ne tient qu’à fil et que personne n’est égal face à elle, elle ne pouvait pas se faire à l’idée de vivre constamment dans la peur de mourir pour un mauvais regard, pour une convoitise, tous les jours, tous le temps.
Si les fantômes lui faisaient toujours peur, elle ne pouvait se faire à l’idée d’un monde où elle devait en plus avoir autant peur des vivants.

▬ Angelina, tu te souviens d’elle ? –Meera acquiesça silencieusement pour le laisser continuer– m’avait prit sous son aile parce que ma mère avait changé depuis qu’on était partis d’Istanbul. C’était un peu mieux. Toujours mieux que rien.

Quelque part, elle savait un peu ce que cela faisait.
Quand son père l’avait quittée, et qu’elle avait été envoyée en orphelinat, Meera avait d’abord été trimballée dans quelques foyers d’accueil les premières années –car elle était toute jeune, et que c’est plus facile de gérer une enfant de six ou sept ans qu’un adolescent. Mais dès que spectres et dépression firent leur apparition, on avait jugé qu’il serait mieux de la laisser toujours au même endroit pour ne plus la déstabiliser ; l’orphelinat donc. Pourtant, les premières fois, elle avait trouvé une certaine forme de réconfort chez certaines personnes des foyers d’accueil –notamment chez certaines femmes en qui elle avait pu brièvement voir la mère qu’elle n’avait jamais eu.
C’était loin d’être la panacée, mais c’était, comme Ange le disait lui-même, mieux que rien.

▬ C’est mieux aujourd’hui. C’est mieux quand c’est passé. C’est mieux aujourd’hui ?

Le sentant paniquer sous le poids de ses propres mots, Meera serra sa main en retour et vint caresser sa joue de sa main libre dans des gestes presque maternels –ironique quand il était le plus âgé des deux.

▬ Hey, doucement, d’accord ? fit-elle d’une voix qu’elle voulu douce et posée pour le calmer.

Elle changea de position sur le sofa et l’attira contre elle de sorte à ce que sa tête arrive contre sa poitrine, et elle continua de lui caresser les cheveux jusqu’à ce qu’elle ne le sente plus trembler contre elle.

▬ Moi c’est mieux depuis que tu vis dans l’appartement d’en face, elle avoua alors d’un ton toujours plus doux. C’est pas grand-chose mais ça m’aide beaucoup de savoir que je suis pas toute seule.

Même s’il y a des mauvais jours, même si je ne t’avouerais jamais tout ce qui me ronge parce que je veux pas que ça te ronge à ton tour, si t’étais pas là ce serait dix fois pire.
Ils restèrent un moment ainsi installés, et quand Meera le senti assez apaisé, une idée lui vint pour détendre les cœurs et l’atmosphère.

▬ Tu veux regarder un truc à la télé en mangeant des cochonneries ? elle lança alors d’une voix plus enjouée. J’ai pas de DVD mais on peut se mater une série en streaming si tu veux !

Tout ce que tu veux pour ne pas broyer du noir en solitaire,
j’suis partante.