Elle n'avait pas fermé l’œil de la nuit. Le regard figé - horrifié - sur l'horloge qui avançait trop vite. Minuit, une heure, deux heures, trois. Denis n'était pas rentré. Puis par la force des choses, elle s'était endormie, assise devant le mur où l'horloge était accrochée, et en se réveillant au matin, en sursaut, elle s'empressa de vérifier s'il y avait quelqu'un dans le lit de son frère.
Personne.
Elle prit cinq minutes à enfiler son manteau et ses chaussures, puis elle quitta l'appartement.
Dans le vent froid du matin et dans la lumière naissante du soleil qui se levait au travers du brouillard, elle ne trouva aucun réconfort. Elle se figea tout à coup au milieu d'un trottoir désert, et sur ses joues avaient roulé des larmes fugitives, quelques unes à peine, quand elle se rendit compte qu'elle était pathétique.
Elle ne savait pas où aller, elle ne savait même plus où elle était. Dans sa démence nouvelle, elle se demanda si elle avait rêvé en imaginant que Denis n'était pas rentré. Il lui aurait ri au nez de son rire doux et bienveillant, de son rire tendre et amusant qui lui aurait dit
tu deviens folle, Autumn, mais ça te va plutôt bien.
Elle avait serré ses poings collés à ses jambes, serré les dents pour s'empêcher de pleurer davantage. Elle avait essuyé avec son épaule les larmes qui avaient osé s'échapper. Le tableau était si piètre qu'elle en était dégoûtée ; une gamine handicapée, larmoyante dans le froid et le brouillard ; perdue et imbécile, s'inquiétant pour un frère qui n'avait peut-être même pas disparu.
Elle n'avait pas rêvé, elle en était sûre.
La veille aussi, il s'était passé quelque chose dans ce genre-là, et Denis lui avait dit
tu deviens folle, Autumn, j'étais là. Elle n'était pas folle.
Il n'était qu'un menteur, comme leur père.
Tout ça parce qu'il pensait que ça la rassurerait. Au lieu de ça elle était paniquée.
Des bruits la firent sortir de ses pensées morbides.
«
Denis ? »
Elle plissa les yeux lorsque la silhouette se dessina dans le brouillard, et fut surprise lorsque ce fut un chien qui vint coller sa truffe à ses mains. Il lui fallut quelques secondes avant de lui sourire, et lui adresser quelques mots d'une voix tendre ; chose rare.
«
Et alors, t'es perdue ? »
Puis rapidement la silhouette d'un autre s'ajouta au théâtre, et le visage de Autumn se referma immédiatement. Elle aurait préféré qu'il n'y ai que le chien. Elle avait baissé les yeux, renfrogné les épaules et courbé le dos, tout ça légèrement, juste de quoi prouver son malaise.
«
Ah. C'est pas grave. »
Elle perdait ses mots. Elle, ça faisait une semaine qu'elle n'avait adressé un mot à personne sinon à Denis. Elle aurait aimé être aussi enthousiaste que le chien à rencontrer de nouvelles personnes.
«
Comment elle s'appelle ? »
Elle se mordit l'intérieur de la joue. L'heure n'était pas à faire causette, elle devait retrouver son frère (il n'était pas rentré, elle en était certaine). Mais face à tout le bonheur qui se battait dans les yeux de la chienne, Autumn s'était sentie incapable de partir sans autre forme de politesse.