Encore une journée de travail. Les jours s’enchaînaient et t’étais toujours là, chaque fois un peu plus brisée, chaque fois un peu plus proche de la mort, mais toujours plus brûlante, toujours plus désireuse de mettre un terme à cette mascarade. Est-ce qu’il t’arrivait de penser à ces visages ensanglantés ? A ces yeux vides qui fixaient le ciel, comme si leurs propriétaires avaient espéré jusqu’à leur dernier souffle qu’il se montre clément avec eux ? Peut-être, parfois, le soir, quand tu n’avais plus rien à ressasser dans ton esprit sombre et tortueux. Mais tu les effaçais aussitôt. Il était trop tard pour regretter de toute manière. En attendant, ça te détruisait. Bien plus que ton handicap.

Tu adressas un sourire mesuré au client qui venait de partir pour profiter de sa location. Ce cinéma t’ennuyais, mais ça faisait longtemps que tu t’étais résignée. Tu pouvais bien faire des efforts pour ton patron, après tout ce qu’il avait fait pour toi. Tu notas le nom du client sur ton fichier informatique alors qu’il s’installait. Tu jetas un oeil à l’heure. Dix-sept heure. Dans soixante minute, ce serait l’heure de l’animation du jour : un call of Duty en bonne et dûe forme. Ils se rueraient encore tous pour tenter de te battre et échouerait lamentablement. C’était probablement la seule satisfaction que tu tirais de ta vie ; pouvoir écraser tous ces mecs prétentieux qui se croyaient meilleurs qu’une fille. Sauf que personne ne t’arrivait à la cheville en matière de jeu vidéo.

Il faut dire que contrôler son avatar par l’esprit, ça aidait. De la triche ? Non, pas vraiment, déjà parce que tu ne faisais qu’utiliser tes capacités, et puis tu avais rarement recours de base à tes nanites de peur qu’elles ne deviennent folles. Elles te permettaient juste d’avoir des réflexes instantanés dans les jeux. Une jeune femme se présenta devant toi, interrompant ta réflexion. Son visage ne t’était pas familier, mais tu ne retenais pas forcément tous les traits de ceux qui se présentaient la semaine. Comme le voulait la procédure, tu lui souris depuis ton fauteuil.

Karen — Bonjour et bienvenue. Je peux vous renseigner ? Si c’est la première fois que vous venez je peux vous expliquer le fonctionnement de la salle de jeu.

En attendant, tu continuais de remplir tes données, imperturbable. Ta diction était impressionnante. Comme quoi, tu savais parler correctement quand t’y mettais un peu du tien. Même si le contexte professionnel était le seul qui bénéficiait de tes efforts inconsidérés.

Karen — Vous souhaitez louer une machine ? Avez-vous une carte de membre ? Sinon il va me falloir votre nom et votre prénom. Si ça vous intéresse nous donnons une animation Call of Duty dans une heure.

Tu sentis son regard inquisiteur sur toi. Plus précisément sur tes jambes et le siège que t’occupait. Tu te forças à fixer ton écran sans broncher. La tentation de lui jeter un regard noir était trop forte. Tu détestais par dessus tout les gens qui te détaillaient de la tête aux pieds en constatant ton handicap.