La serveuse était arrivée à ce moment-là, ramenant avec elle les boissons que nous avions commandées. Un kir pour lui, de l’eau pour moi. L’eau qui m’aiderait à faire rouler mes cachets, un par un jusque dans le fond de mon estomac, où ils seraient dissous. Mélangés. Absorbés par mon corps pour stabiliser ce qu’il fallait stabiliser, retarder l’arrivée d’une femme en noir. Je remplissais mon verre, tandis que Romeo poursuivait notre conversation.

« Tu loupes pas grand chose. Les hommes n’en valent pas la peine, crois-moi. »

Je penchais légèrement la tête à son affirmation. Ses mots, son intonation, son rictus. Tout cela me donnait l’impression d’un vécu, d’une expérience véritablement possédée, et non pas de mots juste repris et lancé dans l’air. Pour autant, j’étais bien incapable de définir s’il parlait de lui-même –estimait-il qu’il n’en valait pas la peine ?- ou d’autres qui auraient put le blesser. Impossible de le savoir, à moins de le demander.

Je n’en n’eus pas l’occasion –je ne sais même pas si j’en avais vraiment eut l’intention. Cela ne me concernait pas après tout, n’est-ce pas ?- puisque quelqu’un débarqua à notre table pour entamer une conversation avec Romeo. Il s’agissait d’un employé du restaurant, apparemment habituellement posté en cuisine. Ils semblaient bien se connaitre et être familier l’un avec l’autre. Je me tenais à l’écart, ne participant pas à l’échange, mais l’écoutais tout de même avec attention. Je souriais, terriblement amusée par le spectacle sous mes yeux. Je ne riais pas, par respect, mais il n’aurait pas manqué grand-chose pour que cela se produise.

Finalement, l’homme prit notre commande et s’en repartit dans les cuisines tout en riant. Je retournais mon attention sur Romeo lorsque je l’entendis ricaner. Un rire dont j’eus du mal à savoir s’il était nerveux ou amusé.

« Désolé. Il me connaît de mes années d’adolescence honteuses… On traînait souvent ici, avec mes potes, à l’époque. Pour l’ambiance, tout ça. »

Je riais à mon tour, laissant s’échapper finalement l’éclat que j’avais bloqué jusque là par respect. Je pouvais reconnaitre sans trop de peine le sentiment que l’on ressentait lorsqu’une personne qui nous avait connu plus jeune se montrait soudain alors que l’on est avec des amis ou –dans mon cas- des connaissances. Surtout si cette personne connaissait nos années d’adolescence honteuses, pour reprendre ses mots.

« Ce n’est rien. Il avait l’air vraiment sympathique. Et maintenant je crois que je suis curieuse à propos de tes années honteuses. »

Je plaisantais. A moitié. J’étais un peu intriguée bien sûr, mais je n’étais pas non plus désireuse à tout prix d’apprendre quelques anecdotes. Je ne pensais pas qu’il ait fait des choses si terribles. Et je sais maintenant, avec du recule, que ce que l’on croit, adolescent, être terriblement honteux, ne l’est pas réellement.

Lorsqu’il choisit de balayer le sujet et de passer à autre chose, je n’insistais pas. C’était peut-être quelques choses d’amusant que je ne connaitrais pas, mais ce n’était pas le moins du monde grave.

« Donc… Tu me rends curieux. Si une jolie femme comme toi n’a pas la tête au flirt et aux hommes, alors à quoi songe-t-elle ? C’est que j’essaie de gratter des informations pour te conquérir, vois-tu, alors tout est bon à prendre... »

Je l’observais un court moment après cette question avant de sourire. Amusée par sa justification, sans me soucier de savoir s’il était sérieux ou non à la fin. La question n’était, finalement, pas si difficile. Du moins je le pensais. Parler ne m’aurait rien coûté, estimais-je. Et j’en avais besoin. Même si je ne disais pas tout, raconter un morceau –ou un aspect, selon comment on le regarde- de la vérité ne m’aurait pas fait de mal. M’aurait fait du bien.

« A vivre ! »

M’exclamais-je toujours en souriant. Puis, parfaitement consciente que cette réponse ne devait l’éclairer en rien, je développais un peu plus.

« J’ai prit une année sabbatique pour pouvoir faire tout ce dont j’avais envie. J’ai fait une liste, et aller au casino en faisait partie. Il y a aussi faire un voyage en montgolfière ou encore féminiser enfin ma sœur. »

Quoique ce dernier point pouvait être, je pense, considérer comme le but de ma vie. Je me penchais à mon tour vers lui, sans cesser de sourire.

« J’y pense. Que fais-tu, toi, actuellement ? Tu étudies ? »