Courir pour sauver sa peau faisait partie des risques du métier -si l'on pouvait appeler ça comme ça- et depuis aussi longtemps qu'il s'en souvienne, Saul avait toujours été prêt à les prendre.
Comme si c'était son choix.

Lorsque les flics avaient rappliqué, il avait balancé le sac rempli de billets à Zachariah puis avait attiré l'attention vers lui -c'était ce qui était convenu, car Saul avait toujours été le plus rapide d'entre eux.
Eux, les mauvais garçons qui avaient commencé par faire pousser de l'herbe dans le jardin de l'orphelinat et qui s'étaient retrouvés embourbés dans un monde plus sombre que les ténèbres alors que leur vie venait à peine de commencer.

En échangeant les premiers sachets de poudre et pilules contre des liasses de billets, Saul avait troqué sa liberté contre un moyen de survie. Et il s'était accommodé à ce mode de vie -le seul qu'il avait jamais connu.

Il longea les murs immenses qui caractérisaient les rues de Nahuel, derrières lesquels se terraient les millionnaires comme si le quartier n'était pas suffisamment sécurisé. Sans savoir que la menace venait de leur propre foyer -leurs enfants adorés, qui laissaient la porte grande ouverte aux mauvaises graines du moment qu'elles étaient en mesure de leur procurer du bonheur en sachets.

En escaladant le premier portail praticable, Saul ne put s'empêcher d'esquisser un rictus amer lorsqu'il réalisa qu'il n'aurait jamais mis les pieds dans une telle propriété dans d'autres circonstances. Il repéra les issues possibles, prêtant une oreille attentive aux pas pressés qui résonnaient contre le bitume, et qui lui intimaient de prendre une décision rapide. Pendant un instant, il songea à briser une vitre -mais la porte d'entrée s'ouvrit, et il fonça.

Sans laisser au temps à la jeune femme qui en sortait de réagir, Saul fondit sur elle, posant une main ferme sur sa bouche pour l'empêcher de crier. Il la poussa à l'intérieur, en jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule, et la força à reculer avant de fermer la porte derrière eux.

« Ils vont sonner dans dix secondes. Fais comme si j'étais pas là. »

Sa voix grave avait quelque chose de menaçant -quand bien même ce n'était pas dans sa nature, il avait appris avec le temps que c'était quelque chose qui fonctionnait bien sur les gens. Doucement mais sûrement, il lâcha son emprise sur le visage de la jeune femme mais garda son poignet en otage, au cas où il lui viendrait l'idée de s'enfuir.

« C'est l'heure de briller. Trois, deux, un... »

La sonnerie retentit, et Saul esquissa un sourire triomphant. Il trottina jusqu'au bout de la pièce, retira sa veste qu'il jeta dans un coin et attendit que la conversation ne débute avant de revenir vers elle, passer un bras autour de ses épaules.

« Tout va bien, bébé ? »

Saul sentit son otage se crisper entre ses bras, mais l'attention des policiers s'était focalisée sur lui, si bien que personne ne remarqua rien.

« On peut vous aider, m'sieur l'agent ? »