« On est arrivés. »

Il éclata de rire avant de descendre de la planche et la maintenir sous son pied pour lui permettre de faire de même. Face à son soupir de soulagement, il ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel.

« Pff, comme si j'allais te laisser mourir. Tu rêves, ma p'tite. »

Saul était parfois hermétique à ce qu'il se passait dans la tête des gens, mais cela ne l'empêcha pas de voir la petite lueur dans les yeux de Nedjma -celle qu'il connaissait bien, malgré tout- qui voulait dire que la promenade ne lui avait pas autant déplu qu'elle ne le faisait croire. Et cela suffit à Saul, qui garda dans un coin de sa tête de toujours ramener la plus longue de ses planches chaque fois qu'il la retrouverait.

« Oh, wow. Si j'avais su j'aurais sorti le grand jeu. »

Lui-même n'avait aucune idée de ce qu'était son grand jeu, mais ça l'amusait de faire croire qu'il pouvait faire mieux qu'un bouquet de fleurs et une paire des Vans usées. Il suivit Nedjma dans l'ascenseur et s'émerveilla du détail qu'il pouvait y avoir à l'intérieur -ce qui était déjà dix fois plus que ce qu'il avait chez lui, où il n'y avait même pas d'ascenseur.

Il laissa passer Nedjma avant lui -non pas par galanterie, mais plutôt parce qu'elle était celle qui connaissait la route- et la suivit docilement. Il fallait l'avouer, que Saul était plutôt excité de savoir dans quel environnement elle évoluait, elle qui était si secrète.

« J'arrive pas à croire que je vais voir l'antre secrète de la mystérieuse Nedjma Haddad... commenta-t-il en l'observant ouvrir sa porte. J'ai toujours imaginé que tu vivais dans un palais. »

Ça lui arrivait parfois, à Saul, d'imaginer ce qu'auraient pu être les gens qu'il connaissait dans un contexte différent -celui d'un film, d'un livre, d'une peinture. Et Nedjma tenait bien le rôle de la princesse qui s'ennuyait en haut de sa tour, à attendre quelque chose d'un peu excitant.

Il ne laissa pas ses pensées tergiverser plus longtemps, car elle lui ouvrit la porte et l'invita à entrer.

L'intérieur était un peu à l'image de l'extérieur -briques rouges apparentes et murs blancs alternés. La décoration quant à elle, correspondait à Nedjma d'une façon qu'il n'aurait pas imaginé en la voyant -mais qu'il comprenait maintenant qu'il la connaissait mieux.

« C'est, euh... bien rangé. »

Saul ne pouvait pas en dire autant de chez lui -son appartement ressemblait plus à un squat qu'autre chose, malgré le fait qu'ils aient débarrassé leur bordel depuis qu'ils disposaient d'un atelier. Il put deviner, malgré l'humilité de la décoration, que Nedjma possédait plus de moyens qu'eux pour le faire.

Il posa son skate dans l'entrée et suivit Nedjma jusqu'au salon.

« J'vais pas rester longtemps. Si t'es fatiguée et que tu veux te reposer, je peux te laisser. »

« Eh, eh. Nedjma. C'est pas grave. »

Il posa une main rassurante sur le sommet de son crâne. De la même façon qu'il l'aurait fait pour mettre en confiance un animal apeuré.

« Et ça te plaît ? Au-delà du fait que tu sois payée pour ça, je veux dire. »

Et, comme la dernière fois, il se pencha sur le côté pour mieux la voir. Derrière ses longs cheveux bruns, il chercha son regard. Et ce qu'il y trouva était bien éloigné de ce qu'il avait connu les premiers jours -où est-il passé, l'éclat que j'ai tant aimé chez toi ?

« Si ça te fatigue -parce que ça se voit, désolé de te le dire, hein. Il désigna des cercles dans les airs, désignant ses yeux. Ça te va bien, hein ! 'fin non, je veux dire. Tu restes super jolie... »

Il se frotta l'arrière du crâne. Saul n'était pas idiot, il savait voir quand quelque chose n'allait pas. Il y avait chez Nedjma une fragilité qu'il n'avait pas connue depuis Meera -la "petite Meera", celle qu'il avait connue à l'orphelinat.

« Si ça te fatigue, fais un break. Je me ferai un plaisir de t'accompagner. »

Saul leva la main et, doucement, ramena les cheveux qui cachaient le visage de Nedjma derrière son oreille. Il prit conscience qu'il ne pouvait peut-être pas se permettre de se montrer si familier avec elle, mais ne s'arrêta pas.
Pas quand elle ressemblait comme ça à petite Meera qui avait besoin de lui mais qui n'osait pas lui demander.

« J'en profiterai pour t'apprendre le skate. Désolé de te le dire miss Haddad mais t'es vraiment nulle pour ça. »

Il laissa tomber son bras le long de son corps et attendit qu'elle ne lève les yeux pour lui faire son plus beau sourire.

« J'te laisserai pas tomber, promis juré. »