Caractère
MY VOICE IS DEAD
BUT MY WORDS ARE LOUDER THAN YOURS
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« T’es un monstre Garance, j’veux plus jamais te voir. »
Ça tourne en boucle dans sa tête, non-stop.
T’es un monstre Garance. Un truc pas fini, physiquement et mentalement ; il te manque des cases qui ont grillé dans la poche amniotique avant même ta naissance. Monstre. Salope.
Sans coeur et sans voix.Elle esquisse un sourire amusé. C’est fou à quel point les autres se pensent toujours les mieux placés pour coller des étiquettes à la tête de tout un chacun alors qu’ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’il se passe dans les cerveaux d’autrui. C’est un truc qui la fait toujours rire Garance ; la bêtise humaine. L’empressement instinctif qui pousse tous ces moutons à se vautrer dans l’ignorance et la normalité à la moindre occasion.
En avoir chié dans la vie, ça lui aura au moins appris à réfléchir, et s’élever un peu plus haut que ça.Elle n’a pas d’orgueil sur-dimensionné Garance. Mais elle est fière, et n’accepte pas qu’on lui marche dessus, qu’on crache sur son nom. Laisser faire c’est renoncer, et renoncer c’est pour les faibles. Alors elle a beau être la fille fantôme, la fille de l’ombre, la fille sans voix, quand on la cherche, c’est avec un plaisir non dissimulé qu’elle s’abandonne à la lumière, et qu’elle se fait entendre. Qui a dit qu’on avait besoin d’une voix pour se faire comprendre ? Au fond, la parole, ça n’est jamais qu’une construction sociale, un truc établi par les moutons pour leur permettre de se comprendre entre eux ; mais les idées, le langage, la pensée, on a jamais eu besoin de cordes vocales pour les exprimer.
Il parait que les chats ne miaulent jamais entre eux à l’état sauvage. Que ce sont les félins domestiqués qui ont développé ce mode de communication pour se faire mieux comprendre des humains ; comme on parle à des enfants, en articulant bien, en parlant fort, et en utilisant des mots simple pour être certain que le message passe.
Sa vie entière a été rythmée par son besoin de toujours faire en sorte qu’on puisse accéder à ses pensées, ses idées, ses envies. Elle connait trois langages de signes différents, le morse, est passée maître dans l’art du mime et a appris à écrire ce qu’elle veut communiquer à la vitesse de l’éclair pour que ses messages passent plus vite, soient plus clairs.
Mais dieu que ça l’ennuie, d’avoir l’impression de devoir s’abaisser au niveau de tous les autres pour pouvoir exister avec eux.
C’est en cela que Garance, elle se sent un peu chat.Et c’est vrai qu’elle est féline Garance. La tête toujours haute, la démarche souple, le regard hautain et le sourire aux lèvres, elle a cet air très irritable qui ferait penser qu’elle sait tout mieux que tout le monde, et qu’elle se délecte de la stupidité des autres. Si rien n’est certain pour le premier point, elle ne pourrait pas nier le deuxième, certainement. Quoiqu’elle ne chercherait même pas à nier ; Garance, elle assume tout, n’a peur de rien. Ni de se salir les mains, ni de se mettre en danger, ni même de faire preuve de courage quand il est temps d’ouvrir son coeur et se laisser aller. Garance, elle vit, le plus possible, pour compenser sa voix éteinte et ses sentiments défaillants. Elle boit, elle fume, parce qu’elle en a envie, elle danse, elle se bat, parce qu’elle aime sentir ses muscles, la douleur des crampes et des courbatures qui lui rappellent qu’elle est là, qu’elle est vivante. Elle fait des courses de moto, parie sa vie pour quelques liasses de billets verts parce qu’elle est accroc à l’adrénaline qui pulse dans ses veines et lui dessine un sourire sur ses lèvres carmin chaque fois qu’elle s’empare de son corps. Elle s’amuse, elle rit, elle baise, elle fait la fête, elle vit. Comme on a rarement vu quelqu’un comme elle vivre.
Et pourtant, elle n’a pas grand chose qui lui tient à coeur Garance. Tout ce qu’elle aime, elle n’est jamais vraiment sûre de l’aimer vraiment. Elle le fait par habitude, pour avoir de quoi occuper ses journées, mais au fond, elle n’a jamais vraiment connu ça :
la passion.Peut-être qu’elle se force un peu trop à vivre pour ne pas se poser la question.Histoire
ONCE UPON A TIME
THEY FUCKED UP —THE END
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Toutes les jolies histoires commencent de la même façon. Il y a le Papa –
qui est beau, fort, qui sait protéger toute sa petite famille d’une seule main et il lui reste encore l’autre de libre pour exprimer sa tendresse envers les siens– la Maman –
elle est belle, douce, attentionnée, elle cuisine bien et chante des berceuses le soir– et les enfants –
ils sont deux dans l’idéal, un garçon, l’aîné, et une fille, la cadette ; le choix du roi comme on dit. La famille est très soudées, parfois y’a des embrouilles, mais l’amour finit toujours pas gagner et l’histoire est si heureuse qu’elle en fait pleurer de joie ceux qui l’entendent.
Mais il y en a, des histoires, qui sont loin de ressembler à ces conneries de contes de fées qu’on nous fait bouffer à toutes les sauces sur le papier plastifié des livres pour enfants ou sur les écrans télévisés. Il y en a qui commencent dans la misère, qui s’y finissent aussi, et qui ne tirent pas de larmes aux gens –des grimaces à la rigueur, de la pitié le plus souvent, du dégoût pur et simple parfois.
Mon histoire à moi, elle n’est pas de ces contes de fées là.Papa n’est ni un prince, ni un roi. Juste un pauvre connard qui s’est empressé de se tirer la queue entre les jambes quand il a appris que Maman était enceinte et qu’il était trop tard pour faire sauter en son sein le fruit de leurs conneries. Maman aussi est une pauvre conne, une qui avait une famille, un mari et un fils mais qui a quand même choisit de tout foutre en l’air pour quelques nuits consumées à la gloire de l’Infidélité, de la Luxure, du Vice et de la Connerie.
En résulte neuf mois plus tard deux petites angelotes brunes ; (moi et puis ma sœur). C’est pas vraiment le choix du roi, mais sachant que ni l’une ni l’autre n’était désirée, l’on aurait pu avoir un garçon à la place de l’une d’entre elles qu’il en aurait été de même.
Elles sont pareilles, et ressemblent déjà terriblement à leur mère. Mais y’a un truc qui déconne chez la première née, elle a pas le même air béat et innocent que sa soeur, et le regard qu’elle pose sur le monde qui l’entoure semble aussi froid et désabusé que si elle en connaissait déjà toute la misère et l’horreur ; comme si à peine née, elle n’espérait déjà plus rien.
Et quand vient l’heure de son premier cri, celui-ci reste à tout jamais coincé dans sa gorge alors que ses cordes vocales atrophiées se rompent sous l’écho.
Aussi, jamais je n’ai eu l’occasion de connaître le son de ma propre voix.
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Je ne connais pas ma mère. Pour moi, ce n’est qu’un visage que les années ont rendues flou et une voix dont le souvenir se fait crispant au creux de mon oreille –je ne sais même plus si ces souvenirs sont réels ou si ce ne sont que des chimères nées de mon imagination ; je m’en fous au fond. Pendant longtemps la seule famille que j’ai jamais eu, c’était Dahlia. Et l’expression « on ne choisit pas sa famille » ne pouvait mieux tomber car je pense que si j’avais eu le choix, je ne l’aurais pas prise pour soeur. Tout comme elle ne m’aurait pas prise non plus.
C’est qu’elle avait la haine contre moi Dahlia. C’est qu’elle m’en voulait Dahlia. Je la comprends d’un certain point de vue car si on observait notre situation sous un autre angle, c’était effectivement de ma faute si nous n’avions jamais eu la chance d’avoir une véritable famille et des parents pour prendre soin de nous.
Nous avons fait nos premiers pas dans la vie à Hiawatha, tout d’abord, dans un orphelinat pas très reluisant où les gamins sans parents s’entassaient les uns sur les autres tant ils manquaient de place. Alors très vite –nous avions trois ans si je me souviens bien– nous avons commencé à écumer les familles d’accueil –pour libérer de la place comme les grands nous disaient. Et si certaines de ces familles n’étaient pas bien impliquées dans leurs rôles, et ne faisaient ça que pour l’argent qu’on leur donnait pour nous accueillir sous leur toit, d’autres auraient pu être la famille parfaite si seulement un léger détail ne venait pas gâcher le tableau ;
mon mutisme.
Car ils avaient beau y mettre tous les efforts du monde, ils ne pouvaient tout simplement pas s’occuper d’une gamine incapable de se faire comprendre et qui restait constamment dans l’ombre de sa jumelle. Ça leur pesait sur le coeur, ça les attristait trop, et ils finissaient tous, sans exception, par baisser les bras et admettre leur faiblesse d’esprit devant mon handicap. Alors ils passaient la main à d’autres familles, d’autres foyers, en espérant qu’un jour, quelqu’un de bien et de suffisamment fort mentalement pourrait nous récupérer et nous élever décemment. Et comme il était hors de question pour eux de séparer deux soeurs –des jumelles qui plus est, qui n’avaient jamais été séparées depuis l’enceinte chaleureuse du ventre maternel– alors Dahlia non plus n’a pas eu droit à cette famille tant désirée ;
et comme elle m’en a voulu alors, d’être muette, et comme elle s’en est voulue de m’en vouloir.C’était toujours ça entre nous : la rage, puis la culpabilité ; la jalousie, puis le repentir ; l’amour, puis la haine. Je lui en voulais d’être celle qui avait tout pour elle et qui se faisait aimer plus vite de tous les autres, et je m’en voulais d’être si désespérément dépendante d’elle –car nous avions inventé ensemble un code qui lui permettait de me comprendre et qu’elle était ma seule et unique interprète. Je la jalousais, je la haïssais, et puis je me rappelais que je n’avais qu’elle alors je changeais d’avis et je l’adorais.
Ma douce petite soeur, que j’avais autant envie de protéger que de lui tordre le cou.
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C’est l’année de nos dix ans que la vie prit un tournant décisif pour ma soeur et moi. Dix ans, c’est l’âge de l’espièglerie, de l’insouciance et des bêtises sans gravité pour les autres. Pour nous, c’était l’âge de l’entrée dans le monde des grands.
C’est à dix ans que nous avons été prises en charge par Donovan.
Donovan, il était imposant. Gigantesque même, du point de vue d’une fillette. Il en imposait, et il avait beau avoir un bras en moins et des cicatrices partout sur la gueule, il compensait les pertes avec son charisme de leader –leader de gang à Scitlatli, spécialisé dans le trafic de véhicules et autres magouilles pas très claires– et son autorité inébranlable.
Dahlia n’a jamais trop su pourquoi ce type nous avait prises sous son aile.
Elle ne se rappelait pas de lui.
Moi si.________________________________
Si je devais évoquer un seul souvenir de mon enfance que je pourrais qualifier d’heureux, je dirais qu’il s’agit de ma toute première rencontre avec Donovan. Pourtant au début, rien n’indiquait qu’il serait devenu le souvenir le plus brillant qu’il me reste de mes jeunes années ; je l’ai rencontré en rentrant de l’école un jour de pluie alors qu’on venait encore une fois de nous virer d’un foyer situé dans les quartiers les plus crades d'Hiawatha. Il faisait froid, il faisait sombre car la nuit tombait, et il était là assis comme un chien errant à même le sol, mal rasé, puant, et une bouteille d’alcool frelaté au creux de sa seule et unique main. Dahlia a passé son chemin sans le voir –elle n’a jamais été de ceux qui se soucient de plus pauvre que soi Dahlia, quand bien même on n’avait pas grand chose pour commencer. Moi, je me suis arrêtée devant lui, et je l’ai regardé. Du haut de mes huit ans, j’étais fascinée par tant de misère. Donovan, c’était un concentré de déchéance humaine à lui tout seul, et tout faisait pitié à en vomir chez lui ; de sa gueule de clochard à son bras amputé jusqu’à l’épaule en passant par son odeur de rat crevé.
Et ça m’a fait quelque chose de le voir comme ça. Dans mon ventre, entre mes côtes, j’ai senti un bouillonnement brûlant et de longs frissons me sont remontés le long du dos et des bras, hérissant les poils sur ma peau.
Je crois que ça m’a fait plaisir de voir qu’il y avait plus pathétique que moi.
Oh oui bordel, je m’en souviendrais toute ma vie de ce frétillement que j’ai ressenti dans mes entrailles, de cette sensation de supériorité qui avait pulsé dans mes veines et avait fait naître sur mes lèvres un sourire fou –mais un sourire vrai, peut-être le premier depuis toujours.
Donovan, il m’a fait me sentir
vivante pour la première fois de ma vie.
Et ça, il l’avait senti lui aussi.
Une fois seulement, je lui ai demandé ce qu’il avait pensé de moi ce jour-là ; ce qu’il avait pensé de cette orpheline muette de sept ou huit ans ans qui avait pris son pied en le regardant de haut comme on regarde des fourmis qu’on menace d’écraser sous son talon. Il avait tout perdu à l’époque pourtant ; sa femme, ses enfants, son argent, son bras –la faute à un de ces types en costard-cravate qui tournent à la coke et qui avait décidé de jouer à Dieu en lui promettant monts et merveilles avant de le faire couler en faisant sauter petit à petit tout ce à quoi il tenait.
Il avait touché le fond, et je m’en étais délectée –il aurait dû me détester pour sûr, c’est ce que toute personne saine d’esprit aurait fait.
Mais il venait de Scitlali, et il faut croire que personne n’est vraiment sain d’esprit là-bas –sur ce point, je lui ressemblais déjà.
Et pour avoir été la première a lui redonner envie de prendre le destin par derrière et de prouver qu'il allait remonter la pente, il nous a "adoptées" dès que son nouvel emploi de contrebandier –il n'avait plus grand-chose à perdre, et n'était pas vraiment du genre à vivre une vie très rangée non plus– lui a offert une stabilité financière suffisante pour nous accueillir chez lui.
Pour avoir été la première personne à le regarder, la première à lui sourire malgré sa puanteur et son bras, et sa gueule, il m’a aimée. Peut-être pas tout à fait comme un père, mais ça s’en rapprochait –j’avais le même âge que sa fille décédée parait-il, j’imagine que ça a un peu joué.
Il a essayé d’aimer Dahlia aussi, mais il n’y est pas vraiment arrivé –et je ne pouvais certainement pas l’en blâmer. En arrivant dans le pire district d’Astrophel, ma chère soeur était devenue ce qu’on désigne dans le langage courant une sale petite conne –
et encore, c’est léger. Tout la dégoutait, les gens, les lieux, les odeurs ; on aurait dit une princesse qui découvrait la crasse et la misère pour la première fois de sa vie –elle n’avait jamais rien connu d’exceptionnel avant pourtant.
Mais elle avait des rêves et des aspirations un peu fous Dahlia. Elle voulait les paillettes et la reconnaissance, la célébrité et la dévotion, le glamour et les jolies choses.
À ses yeux, Donovan n’avait rien de joli. Alors elle n’a même pas cherché à l’aimer.
Tant pis pour sa gueule,
il m’avait moi, ça suffisait.C'est donc à l'âge de dix ans que Dahlia et moi avons (paraît-il) disparu de la surface de la Terre. Quelques mois plus tard, on nous déclaraient mortes présumées, et nos anciennes identités (d'autres prénoms, ainsi qu'un nom de famille que les services sociaux nous avaient attribués par défaut) furent enterrées à jamais.________________________________
La vie chez Don’, dans sa baraque sur Scitlali dans laquelle il nous avaient ramenées en douce, c’était clairement pas celle qu’on aurait pu avoir à Hiawatha. Une fois nos nouvelles identités choisies, nos journées étaient rythmées par les cours à domicile et les entraînements –arts martiaux, maîtrise d’armes en tout genre ; Donovan avait décidé que jamais ses protégées ne seraient sans défense pour ne pas avoir à revivre la perte d’un proche, et fonceur comme il l’est, il a fini par faire de nous de vraies machines de guerre. Dahlia détestait ça, bien entendu, mais moi j’avais enfin l’impression d’être à ma place, d’avoir un semblant de but. À treize ans j’ai appris à conduire dans son garage sur les voitures et les motos volées de son gang, et quelques temps plus tard je devenais la plus jeune à concourir dans les courses de deux-roues –illégales bien sûr– organisées par le gang et auxquelles il avait du renoncer à cause de son bras.
C’était comme si, à défaut d’avoir mes propres rêves, mes propres passions, je me gorgeais des aspirations de Donovan, celles qu’ils ne pouvaient plus réaliser lui-même.C’était comme si pour la première fois, je vivais pleinement. Sans faire de concessions à personne –Don’ mis à part, mais pour lui je pouvais faire toutes les concessions du monde.
Au bout de quelques temps, je n’étais plus seulement la gosse orpheline et muette que le patron avait pris son aile. J’étais membre du gang, à part entière. Un gang familial, sans véritable nom –presque invisible donc– mais qui avait su se faire une jolie réputation dans les bas quartiers, et ça s’était répandu comme une traînée de poudre.
J’étais chez moi.
Enfin.Nous avons eu quinze ans quand Dahlia et moi avons pris des chemins séparés pour la toute première fois. Il faut dire qu’elle était pressée de quitter les quartiers puants ma très chère soeur, et que la moindre occasion à saisir était bonne prendre.
Son occasion, ça a été son pouvoir qui s’est réveillé.
J’en aurais entendu parlé de cette saloperie de mutation génétique, ça oui. Ça n’était jamais qu’un des nombreux atouts de ma soeur, une choses parmi tant d’autres qui la rendaient merveilleuse au milieu de la plèbe. Dahlia s’était découvert une paire d’ailes, et s’était empressée de s’envoler loin des bas-fonds, l’Académie et la renommée comme seuls objectifs.
Jamais je ne lui ai parlé de mon pouvoir à moi.
À Donovan non plus d’ailleurs.
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À partir de là, la vie est devenue un peu différente. Je suivais ma scolarité à domicile, entre deux courses et trois entrainements, et Dahlia faisait sa vie à l’Académie, m’envoyait des messages pour me tenir au courant, parfois, sans jamais vraiment me demander de nouvelles —j’avais l’habitude avec elle.
On ne se voyait presque plus, et c’était comme si je pouvais enfin pleinement respirer.
Je crois que Dahlia m’étouffait.Et puis nous avons eu dix-huit ans, et nos chemins se sont radicalement opposés.
Ma soeur venait d’être intégrée avec les honneurs à la célèbre X-trem Factory quand je commettais mon tout premier meurtre.
Mon tout premier meurtre.Je pense qu’ils s’étaient tous doutés que c’était comme ça que ça finirait.
Mais je ne regrette pas pourtant. Je ne regrette pas d’avoir sauvé l’entreprise de mon père spirituel, et de l’avoir vengé de son bourreau par la même occasion. Ce qui m’a surpris, c’est seulement la facilité avec laquelle je me suis résolue à le faire –ça avait été si simple, de m’infiltrer dans le bureau de cette ordure et le descendre avec son propre flingue, d’effacer mes traces et faire comme si je n’avais jamais été là. J’étais plutôt douée pour ça
–m’effacer.Je n’ai jamais dit à Donovan que c’était moi mais je pense qu’il l’a deviné malgré tout ; il était le seul à savoir lire en moi, le seul à avoir jamais cherché à le faire, alors même si la communication n’était pas vraiment au beau fixe entre nous car nous n’étions pas de grands bavards tous les deux, il savait, et je savais qu’il savait.
Il n’a jamais rien dit non plus.
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Elle a tout de même fini par tomber Dahlia.
À trop vouloir s’élever au dessus des autres, elle s’est cramée les ailes et la chute lui à coûté tout le reste de son corps –tétraplégique à vie. Je…je ne sais pas trop comment j’ai pris la nouvelle.
Pendant un temps j’ai cru que ça ne m’avait fait ni chaud ni froid. Que c’était un accident banal lié à cette vie qu’elle avait voulu vivre loin de moi, et que c’était tant pis pour elle, qu’elle aurait dû mieux appréhender les risques. Peut-être que quelque part ça m’avait presque plût de me dire qu’elle allait enfin savoir à son tour ce que c’est d’être handicapé, elle qui s’était tant moquée de Donovan et de moi.
Et puis on a découvert que ce n’était pas un accident mais une tentative de meurtre qui avait mal tourné, et j’ai vu rouge.
Personne ne tue ma soeur à part moi.
Personne.Alors cette fois j’ai prévenu Donovan. Je lui ai dis que je partais, que j’allais dans les beaux quartiers pour régler son compte au fils de petit pute qui avait osé couper les ailes de ma Dahlia.
Et j’suis partie.Il a fallut s’intégrer d’abord. Trouver un travail, un appartement. J’ai réussis à me faire intégrer en fac d’art pour me servir de couverture, tout en bossant la nuit dans une boîte de strip-tease où l’on pouvait en apprendre des belles sur la crasse qui grouillait sous les beaux pavés de la ville.
Mais rien à faire.Impossible de savoir qui avait tenté d’assassiner ma soeur.
Et puis j’ai entendu parler d’eux.
Blizzard.J’ai vaguement réfléchis avant d’entrer en contact avec eux. J’avais de l’argent de côté, Don’ pouvait même m’en dépanner un peu s’il le fallait, alors je pouvais m’offrir leurs services. Un petit mail envoyé et la machine était lancée. Ils ont retrouvé mon homme, m’ont livré les infos comme je le leur avait demandé, et j’ai recommencé.
Si j’avais vaguement tremblé la première fois que j’avais troué la tête d’un type, cette fois je n’ai pas cillé. Boum.J’avais vengé ma soeur.
Je ne pouvais pas lui rendre ses ailes.À quoi ça rimait tout ça putain ?________________________________
J’suis restée vivre à Saten.
Fallait bien rester près de l’hôpital où créchait Dahlia, hein ?
J’ai rejoins les Blizzard.
La vie de malfrat ça rapporte, j’ai eu le temps de le constater de mes propres yeux, et j’avais largement les capacités requises pour devenir espionne et voleuse à leur compte.
En parlant d’espionnage, j’ai rejoint Farfallina pour cette même raison sous le pseudo Crystal Clear ; la femme fantôme aux cheveux blancs donc personne n’a jamais vu le visage.
J’suis restée à la fac ; section arts et dessin, parce que j’ai découvert que j’aimais gribouiller et parce que ça m’fait du bien, quand bien même je sais que j’en ferai jamais mon métier.
J’continue de courir pour Donovan.
Je suis devenue pionne à l’Académie pour avoir un métier couverture qui me permette d’expliquer d’où vient l’argent que je dépense dans mon loyer ; j’ai d’ailleurs eu la malchance de découvrir que mon enfoiré de coloc’ était également mon collègue, et je dois supporter cet abruti un peu trop longtemps par jours pour ma santé mentale.
Je m’occupe de Dahlia. J’apprends à connaître mon demi-frère avec qui j’ai renoué il y a peu.
J’ai pas une minute à moi, jamais.
Mais c’est le minimum nécessaire pour avoir l’impression de combler les trous que j’ai dans la poitrine depuis aussi longtemps que je puisse m’en souvenir.