Les soirs de représentation ont toujours été ses préférés. L'euphorie qui envahit les coulisses, le stress ambiant presque palpable et les chatouillis dans le ventre juste avant que les rideaux ne se lèvent. Si elle devait qualifier le sentiment qui l'envahissait dans ces moments, Nina dirait probablement que « c’est mieux que tout ».

À l’entracte, elle s’installe sur le siège de la maquilleuse pour réajuster ce qui a infinitésimalement bougé ; un peu de poudre, du crayon qui a coulé, des paillettes qui sont tombées. Derrière elle, les danseuses ont déjà fini leurs corrections ; elles sont sur leur téléphone et gloussent comme des gamines, en lançant des regards à Nina à travers le miroir.

― Qu’est ce qui vous fait marrer comme ça ?

Aliénor, la française, se lève, tire un tabouret pour s'installer près de Nina pendant qu'elle termine de poudrer son visage déjà couvert de maquillage. Elle fait glisser son téléphone sur le plan de travail.

― Nina, ma belle. T'as vu sur Twitter ?

Les filles se mettent à chuchoter avec véhémence. « Non Allie, faut pas lui dire ! » Mais Nina laisse trainer son regard sur l’écran et s’autorise même à scroller pour lire les news. Une photo s’affiche mais c’est la légende qui captive l’attention de la it-girl.


Pendant quelques secondes, Nina ne dit rien. Même les exclamations autour d'elle ne l'atteignent pas, ni les tapes sur l'épaule et les mines sincèrement inquiètes de ses camarades.

― Ça va, Nina ?
― Ouais. Ouais, ça va.

On frappe à la porte de leur cabine, demandant aux filles de remonter se mettre en place pour terminer la pièce. Lorsqu'elle se met en place, derrière les quinze autres danseuses, Nina n'est pas dupe. Elle a conscience que la seconde boule qui se forme dans le creux de son estomac n'est pas due au stress de monter sur la scène.

Allie lui met une tape dans l'épaule lorsqu'elle se place à son tour -elles partagent le premier rôle dans cette pièce. Et Nina se ressaisit, parce qu'elle s'est promis de ne plus jamais laisser le prince Miles, comme ils l'appellent, passer au-dessus de toutes ses pensées.

La voix de Diana résonne dans sa tête, bien qu’elle ne soit pas là.
« Fais lui regretter, montre lui ce qu’il rate. »

C'est un raisonnement stupide, mais ça a suffi pendant un temps. Le temps de s'en remettre, d'arrêter de pleurer pour cet enfoiré qui a fauté. D'arrêter de se reprocher de ne pas avoir donné assez.

« C'est pas ta faute, Nina. Ça l'a jamais été. »

Alors elle allait danser ; et donner tout ce qu'elle avait dans le ventre juste pour lui montrer.

Elle s'enferme dans sa bulle et ouvre les portes de son monde à celles et ceux qui veulent bien y entrer. D'une certaine façon, la lumière des projecteurs a quelque chose de rassurant ; elle la protège du monde réel. Elle n'est plus Nina, ni une Van der Rohe, ni la petite princesse de l'Amérique. Juste une enfant qui danse, sans savoir pour qui ni pourquoi.

Le charme est rompu quand les rideaux de velours tombent devant elle. Nina s'écroule au sol, immédiatement rattrapée par la fatigue d'avoir donné tant d'elle-même en si peu de temps. Ses amies la ramassent et la traînent en coulisse ; elles n'ont pas de temps à perdre, moins d'une heure pour retirer leur artillerie et enfiler une tenue plus appropriée au banquet qui a lieu en leur honneur.

Les danseuses sont les dernières arrivées, accueillies par des applaudissements comme le veut la coutume. Elles sont impeccables et prennent chaque poignée de main qu'on leur tend -des personnalités importantes venues passer du bon temps loin de leur quotidien, pour la plupart. Elles sont un spectacle, ces filles, rien d'autre -mais n'est ce pas ce qu'elles ont demandé ?

Elle ne l'a pas vu dans le public ; mais Nina le voit avant d'arriver à sa hauteur. Cela lui laisse le temps de reprendre de la contenance -mais il la connaît bien, et il est le seul à pouvoir entendre que sa voix se brise malgré le menton qu'elle lève. Elle lui tend la main, et plante son regard -brillant- dans le sien.

― Miles.