// le numéro que vous avez demandé n’est pas attribué– //Saul laissa tomber son téléphone sur son oreiller.
Depuis deux semaines, c’était la même chose. Réglé comme une horloge, il se réveillait tous les soirs à la même heure –4:00 am– à cause du même rêve –le même cauchemar– qui le maintenait éveillé jusqu’à ce que son réveil ne sonne l’heure d’aller profiter des plages vides pour embrasser les premières vagues de la journée. Chose qu’il ne parvenait plus à faire à cause de la fatigue accumulée qui s’était mutée en rhume qui l’avait cloué au lit en début de semaine.
Et son esprit embrumé avait retourné son rêve dans tous les sens, essayant de chercher pourquoi son subconscient le ramenait dans les rues de Los Angeles alors qu’il n’y avait plus mis les pieds depuis que les services sociaux l’avaient envoyé à Astrophel City.
La réalité l’avait frappé en pleine nuit.
Tout ce qui lui restait là-bas était sa mère –et tout ce qui lui restait à elle lorsqu’il lui avait été retiré, c’était lui.
Et lui, il n’avait pas appelé une seule fois depuis son accident. Pas même à son réveil –ni même près d’un an plus tard.
Comme si elle était sortie de sa vie ; sa nouvelle vie, celle qui était pleine de choix qu’il avait pris malgré lui.
Alors il avait essayé d’appeler, rongé par la culpabilité et la honte. Il avait puisé dans ses souvenirs les plus lointains, ceux d’une vie qu’il n’avait pas le sentiment d’avoir vécue tant elle était loin. Mais il n’avait jamais reçu aucune réponse, et la panique avait commencé à le submergé.
Et si rien de tout ça n’était arrivé ?
Et si sa vie d’avant, celle qu’il racontait aux enfants, n’était rien d’autre qu’une de ces histoires qu’il avait l’habitude d’inventer dans le but de les faire rêver ?
Il se redressa et sécha les larmes qui avaient trempé ses joues dans la panique. Il respira fort dans la solitude d’une chambre à laquelle il commençait tout juste à s’habituer, et pris sa tête entre ses mains. Puis il se concentra sur une ancre ; tout ce qui le rendait heureux pour ne pas céder à ce qui le hantait depuis son réveil.
L’envie de tout plaquer finit par se dissiper et lorsqu’il fut suffisamment calme pour tenir une conversation sans inquiéter son interlocuteur, Saul reprit son téléphone et composa le seul numéro qu’il avait appris par cœur.
«
Salut ma belle. Tu fais quoi ce week-end ? »
– X –
Le samedi matin, Saul avait déboulé au pied de l’appartement de Meera au volant de la voiture de Zach –le plus riche de ses colocataires puisqu’il était parvenu à s’acheter un 4x4 Chevrolet presque neuf. Il se gara à l’arrache sur le trottoir et alluma ses warnings le temps de sonner à la porte pour qu’elle descende.
Pour elle, Saul ne faisait rien de plus que l’emmener en week-end à l’extérieur de la ville ; il avait choisi de ne pas lui révéler le motif de leur escapade, de peur de l’inquiéter pour le reste de la semaine.
Ça avait toujours été son truc, de s’appuyer sur Meera tout en la préservant de tous les problèmes auxquels il faisait face.
Lorsqu’elle se montra enfin, il ouvrit les bras pour l’y accueillir et déposa un baiser sonore contre le haut de son crâne, à travers ses cheveux bleus.
«
Grimpe dans le carrosse, je t’emmène voir la cité des anges ! s’exclama-t-il, le ton théâtral allant de paire avec la surprise qui se tenait derrière lui. »
Accrochée au flanc de la voiture se tenait une banderole en papier sur laquelle était marqué LOS ANGELES par-dessus une multitude de dessins à l’aquarelle représentant les lieux majeurs de la ville mais également les vieux souvenirs de son enfance dont il ne pouvait se débarrasser –un studio sombre, des ruelles mal dessinées, des vagues monstrueuses et des skate parks bricolés avec les moyens du bord.
«
J’ai fait ça hier, Trav’ m’a donné un jour de congé en voyant ma sale gueule. »
Malgré les cernes qui creusaient ses yeux et le teint plus pâle qu’à l’accoutumée, Saul gardait une assez bonne mine tant qu’il avait la force de sourire.